Souvent, ils parlent de blagues, de trucs faits « juste pour rigoler ». Ils ne voient pas bien à quel moment c’est devenu grave. Claire continue à parler de « fun ». Elle a pourtant été exclue l’an passé de son lycée parisien pour avoir créé un compte Instagram acide, plein de moqueries, d’insinuations et détournements humiliants. Elle y poursuivait quelques filles en particulier, de rumeurs en photomontages. L’une des victimes a fini par craquer. Une fois le proviseur informé, tout a été très vite. Elle a depuis rejoint un autre lycée pour suivre sa terminale et commence tout juste à comprendre le mal fait.
« C’est souvent sur un compte Instagram dont le nom commence par Gossip (potins) ou Crush (coup de coeur) associé au nom du lycée ou collège que se lancent les rumeurs », explique Jasmine, une élève en première à Janson de Sailly. « En général, ce sont juste des vannes, mais il y a aussi des noms lâchés pour faire rire ». Si tout le monde peut être visé, certaines cibles reviennent plus souvent. Et cela ouvre parfois des phénomènes collectifs. « Dans la classe, ils ont détourné une photo de Chloé. C’est vite devenu obscène. Et ils l’ont postée dans le groupe WhatsApp de la classe. Là, elle a craqué. Et j’ai pour la première fois réalisé que c’était peut être de la non assistance à personne en danger que d’avoir laissé faire », se désole Jasmine.
À force de s’abriter derrière l’idée que c’était juste du LOL, rien de grave, beaucoup des harceleurs nient leur responsabilité. « Comme il n’y a pas d’interaction physique entre la victime et l’agresseur, ce dernier ne développe pas d’empathie pour sa proie. On appelle cela « l’effet cockpit », comme les pilotes d’avions de chasse, qui larguaient des bombes sans jamais voir les dégâts produits pendant la Seconde Guerre mondiale », explique Catherine Blaya, chercheuse qui étudie les phénomènes de cyberviolence, interrogée par Le Point.