J’ai testé pour vous : “Crush” l’application polémique pour les ados

Une application vous propose de découvrir votre admirateur secret. Problème : elle était initialement destinée aux 10-21 ans. On vous explique la polémique. 

 

Publié le : 17-11-2023

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Temps de lecture : 7 minutes

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En scrollant mon feed Instagram, je découvre une bien étrange polémique (encore une). Un développeur français aurait créé une application permettant de découvrir son “crush” secret. Pour les non initiés au vocabulaire adolescent, le mot “crush” est un anglicisme qui désigne une attirance pour quelqu'un, un béguin ou un coup de cœur. 

Encore une application de rencontre comme il en existe tant d’autres sur le marché (de tête, citons Meetic, Tinder, AdepteUnMec, Grinder, Hinge, Fruitz …) ? Pas tout à fait, puisque “Crush” cible un public adolescent. Destinée initialement aux 10-21 ans, l’application n’a pas manqué d'affoler la toile. Certains s’interrogent sur l’intérêt de proposer une application de rencontre pour adolescent, quand d’autres pointent l’écart d’âge du public cible supposant de possibles rencontres entre des enfants et des personnes majeurs. 

Pour comprendre réellement de quoi il retourne, j’ai décidé de tester cette fameuse application. 

D’où vient la polémique ? 

Le 6 novembre dernier, l’influenceuse Ophenya (suivie par près de 4,8 millions de personnes sur TikTok) faisait la promotion de “Crush”, sur le réseau social préféré des ados. L’application propose aux jeunes âgés de 10 à 21 ans, de découvrir qui les admire en secret. Mise en ligne seulement quelques mois après le retrait par Google du site “Rencontres-ados”, accusé d’héberger des pédocriminels, de nombreux internautes appellent à signaler l’application. 

Leurs craintes ? Qu’elle permette à des adultes de rentrer en contact avec des enfants en se faisant passer pour des ados, les risques de cyberharcèlement et l’absence de garde-fous en matière de cybersécurité et d’exploitation des données personnelles. 

Depuis son bad buzz, l’application a changé de nom pour devenir “Crush- sondage entre amis”, puis “Friendzy, sondages entre amis”, évacuant d’emblée toute considération amoureuse. Elle modifie également l’âge minimum d’inscription, qui passe à 13 ans, et l’âge maximum, qui passe à 18 ans. Interrogé par Le Figaro, Marc Allain, le concepteur de l'application se défend “Mon objectif avec Crush, c’est de lutter contre le harcèlement scolaire en incitant les jeunes d’un même établissement à se faire des compliments via des sondages positifs”. 

Dans les faits, ça donne quoi ?

Après avoir téléchargé l’application, je renseigne mon prénom (fictif), mon âge, mon établissement scolaire (après géolocalisation) et …ma classe. Première interrogation : le choix des classes est compris entre la 6e à la Terminale. De mémoire, s’il n’a accusé aucun redoublement, un écolier entre en 6e à l’âge de 11 ans…or, l’âge minimum d’inscription sur l’application est de 13 ans (ce qui est aussi l’âge minimum requis pour s’inscrire sur les réseaux sociaux avec l’accord de ses parents). Les calculs ne sont pas bons Friendzy ! Une fois cette question posée, je valide mon inscription. Alors, autant le dire tout de suite, j’ai 28 ans et je ne suis plus à l’école depuis longtemps. Néanmoins sur Friendzy, je m’appelle Billie, j’ai 13 ans et je suis en 5ème. Sur l’application, tout s’effectue sur la base du déclaratif. 

Je peux désormais retrouver des camarades de classe qui sont déjà sur l’application ou inviter des amis à me rejoindre. Une fois mon compte créé, je dois répondre à différents sondages pour jauger de mes affinités et désigner la personne qui me plait en secret. Parmi les questions qui me sont posées, on me demande de désigner  “La personne avec qui tu aimes faire du sport”, “Le/la bricoleur(se) le plus doué(e) que tu connaisse”, qui “a toujours des idées brillantes”, qui “dormirait H24 si il/elle pouvait”...Je ne vous le cache pas, ça m’amuse peu. Bon, en même temps, je ne suis clairement pas la cible, je vous l’accorde. 

Dans un autre onglet, je peux savoir ce que les gens ont répondu sur moi, sans toutefois pouvoir accéder à leur identité. En tout, je dois répondre à 12 questions avant qu’on ne me propose de passer au “mode divinité”. Kézako ? Une “expérience utilisateur améliorée” qui permet de révéler 2 prénoms par semaine, de “découvrir la première lettre des prénoms en illimité”, “d'apparaître encore plus souvent dans les sondages de tes potes” et “de recevoir une alerte quand quelqu’un ajoute son nom à tes sondages”...le tout moyennant 3,99€ par mois, renouvelable automatiquement. Là je me demande à qui revient l’addition, aux ados ou à leurs parents ? Passons. 

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Les craintes sont-elles justifiées ?

Si on peut se questionner sur la pertinence d’une application permettant de faciliter les relations amoureuses entre collégiens et lycéens, notons qu’elle ne permet pas d'interactions directes entre utilisateurs. De quoi limiter les risques de présence de pédocriminels (ou en tout cas, les risques qu’ils discutent avec les ados). 

Toutefois, n’importe qui peut s’y inscrire, puisqu’aucun justificatif d’identité n’est requis. De plus, l’application récolte un certain nombre de données relatives aux mineurs : le carnet de contact, la localisation, le numéro de téléphone et l’adresse mail. Qu’en est-il de la sécurité de ces données personnelles ? “L’application n’est pas conçue pour les utilisateurs de moins de 13 ans. La collecte involontaire de données auprès de ces utilisateurs entraîne la suppression immédiate des comptes et des données associés.”, peut-on simplement lire dans les mentions légales. 

À ce sujet, le règlement général européen sur la protection des données (RGPD), est clair. Toute application accessible sur le sol européen doit informer explicitement ses clients sur leurs droits d’opposition aux données qu’elles collectent. Le problème avec Friendzy, c’est que la collecte de données personnelles est une condition nécessaire à l’utilisation de l’application. C’est ce que soulève Mathis Hammel, consultant indépendant en cybersécurité, auprès du Figaro : “ …l’utilisateur est plus que convié à donner sa localisation afin de retrouver son collège ou son lycée puis sa liste de contact et son numéro de téléphone pour ajouter ses amis…Il n’y a pas vraiment de messages clairs pour lui proposer de décliner cette option”. Il alerte notamment sur les risques de piratage et de revente de ces données. 

Dans un thread publié sur X, le vulgarisateur en cybersécurité précise aussi le flou qui entoure l’existence juridique de la société derrière Friendzy, Positive Tech SAS : “En faisant une rapide recherche sur cette société, on s'aperçoit qu'elle est en fait en cours d'immatriculation”. Or, avant de lancer une application, une société doit exister juridiquement. 

En ce qui concerne les questionnements sur le cyberharcèlement, le risque est bel et bien présent, selon Samuel Comblez, psychologue clinicien et directeur du 3018, le numéro d’urgence pour les jeunes victimes de harcèlement. Interrogé par La Croix, il explique : “Pour les plus fragiles, ceux qui vont se lancer dans l’application en cherchant une confirmation de leur popularité, la dégringolade peut être assez violente”. Désormais, dans les paramètres de l'application on découvre un bouton “harcèlement - J’ai besoin d’aide” qui renvoie au numéro 3018. De quoi se sentir plus rassuré ?

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