“Real estate porn”, quand l’immobilier nous rend accro

L'émission “L’Agence” de la famille Kretz n’a plus de secret pour vous ? Vous préférez parler hauteur sous plafond plutôt que temps de cuisson ? Après le “porn food”, place au “real estate porn” : l’addiction aux annonces immobilières en ligne. Décryptage d’une tendance qui oscille entre inspiration et voyeurisme.

©Getty

Temps de lecture : 3 minutes

D’aussi longtemps qu’il s’en souvienne, Michael, ex-DJ de la scène parisienne, n’a pas d’addiction. Excepté le scrolling, cette tendance à faire défiler du contenu sur l’écran de son smartphone, procurant l’illusion du divertissement — aussi appelée doom scrolling lorsqu'elle confine à l’excès. Le type de contenu qu’il aime particulièrement scroller n’a rien de vraiment festif puisqu’il s’agit d’annonces immobilières. « Selon ma compagne, j’y perds trop de temps, mais je ne m’en rends pas compte car c’est dilué dans ma consommation de réseaux sociaux », confesse Michael. Le couple de trentenaires, plutôt bien logés, n’a pourtant aucune intention d’acheter, “ni de s’installer tranquilles dans un meublé”, à l’instar de Bonnie & Clyde.

Ce lèche-vitrine virtuel concerne 70% des Français qui visitent régulièrement un portail immobilier, pointe une étude SeLoger. Le chiffre grimpe à 80 % chez les 18-34 ans, qui bavent devant des propriétés luxueuses qu’ils ne pourront jamais s’offrir. Puisqu’ils n’ont pas de projet de déménagement et qu’ils ne cherchent pas à acquérir un château en Espagne, pourquoi ces internautes continuent-ils de consommer ce contenu immobilier comme d’autres de la pornographie ? (sauf qu’ici, on se fait du mal) 

Si, comme l’humoriste Roman Frayssinet (ci-dessus), votre addiction aux annonces immobilières vous empêche de dormir la nuit — outre-Atlantique, on appelle cela le real estate porn, “porno immobilier” en Français — c’est que le phénomène représente bien plus qu’une énième trend Tik Tok improbable
“Je veux juste voir les baraques et critiquer les choix de déco”, ironise Clément à propos de “L’Agence”, la fameuse émission à succès qui empile une cinquième saison. En offrant un accès sans précédent à des propriétés délirantes, la télévision a renforcé notre intérêt pour l’immobilier, déjà éveillé dans les années 2000 avec “Recherche appartement ou maison” ou “Déco”. Notre passion pour le “marouflage” s’est dissipée au profit d’un voyeurisme entretenu par les agences immobilières elles-mêmes, qui, de concert avec les créateurs de contenu, encouragent la tendance en faisant passer le client par une porte d’entrée virtuelle comme s’il était un invité privilégié. Cela prend la forme de vidéos très engageantes aux formats courts et immersifs qui permettent de parcourir des lieux d’exception en quelques secondes. 
"Ce que j’aime, au-delà de rêver, c’est le côté inspirationnel. Je découvre des tendances, je m’inspire pour mon propre appartement"
Michael, trentenaire parisien

Certains influenceurs se spécialisent dans des mini-reportages sur des biens immobiliers spectaculaires ou atypiques. C’est le cas de @lamaisonvictoria_, ce duo qui cumule plus de 450 000 followers sur TikTok et des millions de vues. Leur concept est simple : arrêter un soi-disant inconnu pour visiter le fameux trésor caché dans lequel il habite. À chaque fois, les prix sont évoqués — ils font souvent tourner la tête — et plus ça grimpe, plus les statistiques sont élevées.

Alors que devenir propriétaire devient un défi pour beaucoup, cette pratique permet de rêver, de s’évader et de trouver de l’inspiration depuis son canapé. “Ce que j’aime, au-delà de rêver, c’est le côté inspirationnel. Je découvre des tendances, je m’inspire pour mon propre appartement”, confie cet esthète qui cultive son intérêt pour l’architecture. Comme l’explique dans Version Femina Joan Le Goff, professeur en sciences de gestion à l'université Paris-Est-Créteil, la dématérialisation généralisée est à l’origine du succès du real estate porn auprès des jeunes : “Les moins de 30 ans n’ont plus de collections de CD ni de DVD, et même les vêtements ne s’accumulent plus dans les armoires. La maison, ‘l’intérieur’ reste encore l’une des seules choses matérielles que l’on peut désirer, convoiter.”  Si vous êtes l’heureux propriétaire d’une épatante villa et que vous voulez éviter que l’on se rince l'œil dessus, voici la démarche à suivre.

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