Cliquez, c'est gagné ? Ce que vous devez savoir sur le microtravail

Reconnaître une image, traduire un bout de phrase, analyser une donnée... Ces petites tâches numériques accessibles depuis n’importe quel ordinateur et n'importe quand promettent un complément de revenu rapide. Mais certains « travailleurs du clic » témoignent d'une réalité moins rutilante.

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Après les digital nomads, ces auto-entrepreneurs et freelances qui travaillent les pieds dans le sable, les « travailleurs du clic » tentent également de gagner de l'argent depuis leur canapé, à condition d'avoir une bonne connexion. La France en compte environ 260 000, selon les derniers chiffres disponibles sur le sujet.

Le principe est simple : chacun peut s’inscrire sur une plateforme de travail en ligne et choisir ses missions — souvent courtes (quelques secondes ou minutes) — et être payé à la tâche. Légender des photos, annoter des bases de données pour entraîner l’intelligence artificielle (Yappers) ou répondre à des sondages (Moolineo, Toluna) sont les plus courantes.

Selon le rapport DipLab 2024, le nombre de ces plateformes et applications qui délèguent des petites tâches à faible valeur ajoutée à une foule de travailleurs occasionnels a augmenté fortement depuis la crise du COVID-19, passant de 23 en 2018-19 à environ 1400 en 2022. Une tendance qui s'inscrit dans l'ubérisation du travail. Ce concept qui emprunte son nom à l'application de chauffeurs privés désigne la mise en relation entre clients et prestataires sans intermédiaire et gratuitement via une plateforme ou application.

Méthodes douteuses

« Chez moi, c’est compliqué de trouver du travail, je n'ai pas de voiture, et le bus est trop loin. Le micro-travail était la seule option », confie Josse au journal Fakir qui a enquêté sur le sujet. Cet étudiant de Rouen s'inscrit sur la plateforme DataAnnotation alors qu’il est encore au lycée. Faute de petit boulot disponible dans son village normand, il passe « des jours et des nuits entières » à cliquer. Mais le rêve de revenus faciles se transforme vite en désillusion. « Le jour où j’ai voulu retirer mon argent, mon compte a été supprimé ! J’avais plus de 1300 dollars dessus. Je n’en ai jamais vu la couleur » se désole le jeune homme.

Son histoire est loin d’être isolée. Sur les forums, les réseaux sociaux ou des sites d'avis en ligne, d’autres évoquent des paiements bloqués, des tâches refusées sans recours, des missions mal rémunérées ou une dépendance à la notation automatique (et souvent stricte).

Capture d’écran d’un avis négatif laissé sur Trustpilot à propos du site de sondages rémunérés Moolineo

D’autres, plus positifs, expliquent que le microtravail permet de découvrir des usages numériques variés ou de se préparer à d’autres métiers. 

Combien peut-on réellement gagner ?

Les promesses de rémunération attractive sont rarement tenues. D’après une étude de la fondation Fairwork, le gain horaire, une fois le temps de recherche de tâches et les refus déduits, dépasse rarement deux ou trois euros de l’heure. Parfois bien moins, si l’on prend en compte les charges et frais de virement. Sur certaines plateformes anglo-saxonnes, les tâches sont même rémunérées quelques centimes, suscitant une course au clic entre travailleurs du monde entier.

Pour Josse, «  c’était des journées entières à cliquer, parfois pour presque rien  ». «  On gagne un ou deux euros de l’heure, mais si la plateforme refuse une tâche, on ne peut rien faire  », témoigne sur un forum Awa, jeune diplômé. Certaines plateformes exigent des seuils minimums élevés avant de pouvoir retirer son argent, ce qui rend l’accès au revenu d’autant plus incertain.

Quel encadrement et quelle protection ?

Ni salarié, ni entrepreneur indépendant, le « microtâcheur »  demeure dans un flou juridique. Il ne bénéficie pas de la sécurité sociale, ni des droits du travail. En France, aucune protection spécifique n’existe pour ces travailleurs, contrairement aux chauffeurs VTC ou livreurs, qui ont partiellement obtenu une reconnaissance statutaire. Chacun travaille de son côté, dans une logique d’ultra-domination par la plateforme.

La question du recours en cas de litige reste entière : la plupart des plateformes pratiquent la politique du silence. Antonio Casilli, sociologue, estime qu’il est urgent de clarifier le statut du microtravail pour éviter une précarisation larvée du numérique.

Avant de se lancer, il est donc essentiel de bien s’informer. Si le microtravail peut constituer un appoint pour certains, il ne remplace en rien un salaire stable, ni une vraie protection sociale. Gare aux arnaques à l'emploi qui sévissent sur WhatsApp, aux rémunérations dérisoires et à l’isolement numérique. Une chose est sûre, l'intelligence artificielle a encore besoin de nous.

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