Téléphone, ordinateur : que peut-on vraiment faire avec nos appareils professionnels ?

Les applications récréatives sont désormais bannies des téléphones professionnels des fonctionnaires Français. Mais savez-vous réellement ce que vous pouvez faire ou non avec vos appareils pro ?

Publié le : 17-04-2023

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Temps de lecture : 6 minutes

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Depuis le 24 mars, les agents de la fonction publique d’État n’ont plus le droit d’utiliser d’applications “récréatives”, comme TikTok, Netflix ou Candy Crush, sur leurs téléphones pro. Dans un communiqué de presse, le ministère de la transformation et de la Fonction publique, a précisé que ces mesures visaient à garantir la cybersécurité des administrations et des agents publics.

Plusieurs pays ont adopté des mesures similaires, quant à l’usage de TikTok, par crainte que l’application chinoise ne soit utilisée à des fins d’espionnage. C’est le cas notamment de l’Australie, la Belgique, le Canada ou encore le Danemark. Mais au-delà de toutes considérations géopolitiques, savez-vous réellement ce que vous avez le droit de faire ou non avec vos appareils professionnels ?

On a demandé les avis de Nadège, responsable RH et d’Alix Lecullié et Louis Lamy de la Chapelle, avocats en droit du travail.

Est-ce que je peux utiliser mes appareils pro à des fins privées ?

Parfois au bureau, il nous arrive de faire du shopping en ligne ou de regarder une vidéo sur Netflix. Oui, on sait, on n’est pas là pour ça… Mais, est-ce vraiment si grave ?

Selon la CNIL, l’utilisation des outils informatiques à des fins autres que professionnelles est le plus souvent tolérée, si elle reste raisonnable et si elle n’affecte pas la sécurité des réseaux, la productivité de l’entreprise ou de l’administration concernée.

👉 L’avis des experts : « L’employeur n’a aucune obligation de permettre aux salariés d’utiliser, à titre personnel, leurs outils professionnels. » Toutefois, « même en présence d’une charte informatique définissant des règles strictes d’utilisation du matériel informatique et téléphonique professionnel, il existe en pratique une tolérance de l’employeur en matière d’utilisation de ces outils à des fins personnelles », nous explique Maître Lamy de la Chapelle.

Ce qui ne veut pas dire que je peux me permettre de binge watcher ma série préférée en toute impunité. Cela risque d’être considéré comme un abus du fait de la durée excessive de visionnage. L’abus peut être qualifié en cas « de fréquence ou durée excessive mais aussi en cas d’utilisation inappropriée ou illégale des outils professionnels. » À ce titre, « peu importe l’existence ou non d’une charte informatique », nous prévient Maître Lecullié, « ces abus pourraient être sanctionnés disciplinairement par l’employeur, de l’avertissement au licenciement pour faute grave. »

💡 Le conseil des experts : prenez connaissance des affaires ayant déjà été jugées, pour vous faire un avis sur les jurisprudences existantes. Nos deux avocats en ont quelques-unes dans leurs (larges) manches pour éclairer notre lanterne. Ainsi, en 2009, un salarié a pu être licencié pour faute grave pour s’être connecté sur internet, sur son lieu de travail, à des fins non professionnelles pendant une durée totale d’environ 41 heures en un mois (Cass. Soc. 18 mars 2009, n°07-44.247). De la même manière, en 2011, le téléchargement illégal de musique à partir d’un ordinateur professionnel a pu être sanctionné par un licenciement pour faute grave (CA Versailles, 31 mars 2011, no09-742).

« L’employeur doit toutefois être en mesure de démontrer que le salarié est bien à l’origine des connexions reprochées (Cass. Soc. 3 octobre 2018, n°16-23.968). », ajoute maître Lamy de la Chapelle. 

Du coup, est-ce que j’ai le droit d’avoir des applications de divertissement comme Netflix, TikTok ou Candycrush sur mes appareils pro ?

👉 L’avis des experts : “Ça reste à la discrétion de chaque employeur, en tout cas moi je ne l’interdis pas”, nous répond Nadège. En revanche, si vous souhaitez utiliser vos appareils professionnels à des fins personnels, en dehors des heures du travail, sachez que  “Normalement tu n’en as pas le droit mais… Il y a une latitude”, poursuit Nadège, notre RH. Mais gare aux pertes et au vol, difficile de faire jouer l’assurance s’ils n’ont pas eu lieu dans un cadre professionnel.

Maîtres Lecullié et Lamy de la Chapelle : « Nous vous renvoyons à nos explications concernant l’utilisation du matériel informatique et téléphonique professionnel. »

💡 Le conseil des experts : Relire attentivement la charte informatique de l’entreprise

Mon patron a-t-il le droit de surveiller tout ce que je fais sur mon ordinateur et mon téléphone professionnel ?

La CNIL nous rappelle que : “Un employé a le droit, même au travail, au respect de sa vie privée et au secret de ses correspondances privées.” Mais pas n’importe comment…

👉 L’avis des experts : « Par principe, lorsque l’employeur met à la disposition des salariés du matériel informatique/téléphonique, les fichiers sont présumés avoir un caractère professionnel et ce dernier est donc en droit de consulter librement les données présentes sur ces outils, même lorsque le salarié n’est pas présent. », nous explique Maître Lecullié.

Votre patron a donc le droit de consulter vos recherches sur Internet. Et attention aux petits malins qui voudraient effacer discrètement leur historique de navigation, sachez que les services informatiques sont tout à fait capables d’enregistrer tout ce que vous faites sur le web. Il peut aussi consulter vos mails, des messages envoyés via des chats d’entreprises ou les SMS reçus sur le téléphone professionnel. Et tout ça, sans demander votre aval.

« Attention, il y a des garde-fous » nous prévient Nadège, notre RH. Par exemple, l’employeur ne peut pas installer de “keyloggers” (un dispositif d’espionnage informatique qui enregistre les suites de touches tapées sur un clavier, N.D.L.R), sauf circonstances exceptionnelles liées à un fort impératif de sécurité.

💡 Le conseil des experts : En ce qui concerne vos mails, Nadège nous conseille d’y ajouter la mention “perso” en objet ou en début de mail. Vous pouvez aussi indiquer la nature personnelle d’un message en le stockant dans un répertoire nommé “privé” ou “personnel”.

En effet, « la Cour de cassation considère de longue date que, sauf risque ou événement particulier, les fichiers identifiés par le salarié comme “personnel” contenus sur le disque dur de l’ordinateur mis à sa disposition/sa messagerie professionnelle, ne peuvent être consultés par l’employeur qu’à la condition que le salarié soit présent ou celui-ci dûment appelé (Cass. Soc. 17 mai 2005, n°03-40.017 ; Cass. Soc. 17 juin 2009, n°08-40.274). », explique Maître Lamy de la Chapelle 

Bon à savoir

  1. Le fait pour le salarié d’intituler le fichier avec ses initiales ou “mes documents” ne confère pas un caractère personnel à ces fichiers. (Cass. Soc. 21 octobre 2009, n°07-43.877 ; Cass. Soc. 10 mai 2012, n°11-13.884).

  2. Le fait de renommer le fichier contenant l’ensemble des données professionnelles présentes sur son ordinateur en “personnel” ne permet pas de conférer un caractère personnel à l’ensemble de ces données. (Cass. Soc. 4 juillet 2012, n°11-12.502).


Est-ce que j’ai le droit de couper mon téléphone pro en dehors des heures de travail ?

Vous avez terminé le boulot, il est tard et vous recevez un SMS sur votre téléphone professionnel : vous décrochez ou pas ?

👉 L’avis des experts : “Ce n’est pas parce que tu reçois un mail que tu as obligation d’y répondre !” tranche Nadège.

« Tout salarié bénéficie d’un droit à la déconnexion et plus particulièrement les cadres au forfait annuel en jours et les salariés en télétravail. Ce droit permet aux collaborateurs de se déconnecter de leurs outils professionnels en dehors de leurs heures de travail. Ainsi, en principe, les salariés ne peuvent être sanctionnés pour ne pas avoir pris connaissance ou répondu à des demandes en dehors de leur temps de travail», résume Maître Lamy de la Chappelle

Et à ce sujet, gare aux excès de zèle car, « A contrario, un salarié qui n’exerce pas ce droit, pourrait être “rappelé à l’ordre/averti” par son employeur. En effet, l’employeur, au titre de son obligation de prévention et de sécurité, doit veiller à ce que les salariés respectent la durée légale du travail et bénéficient donc d’un temps de repos minimal, ce qui peut l’amener à rappeler ce droit à la déconnexion.»

En effet, le droit à la déconnexion est reconnu dans le Code du Travail depuis 2017.

Malheureusement, la porosité d’utilisation entre nos appareils professionnels et nos appareils personnels, peut rendre difficile l’application de notre droit à la déconnexion, comme nous l’indique Maître Lecullié, « En effet, si les salariés peuvent tirer avantage de l’utilisation personnelle de leurs outils professionnels, cette utilisation pourrait toutefois maintenir le lien entre les salariés et leur activité professionnelle en dehors de leur temps de travail. »

💡 Le conseil des experts : En cas de veille, vous pouvez demander une indemnité à votre employeur “toute activité professionnelle appelle rémunération”, nous précise Nadège.

 

 

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