Lire sur papier a-t-il encore du sens ?

La saison des prix littéraires bat son plein et, dans une société française où le livre est érigé en totem, on continue de passer beaucoup (trop) de temps sur nos écrans, notamment pour… lire. Puisque la dématérialisation des contenus est bien entamée et qu’il faut sauver nos forêts, on peut se demander quel est l'intérêt de lire encore sur papier. Et en quoi est-ce différent de lire sur un écran ? Ouvrez bien les yeux, on vous explique.

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Mails, sms, newsletters… Qui a dit que nous ne lisions plus ? Quotidiennement, même ! On consulte notre agenda électronique, on s’informe sur les sites et les réseaux sociaux, on lit même des livres sur des liseuses : pourquoi gaspiller du papier si on possède les outils technologiques ? Sans grande surprise, lire sur un support papier est plus efficace, selon la science, que de lire sur un écran. Explications. 

Le scrolling envoie valser la mémoire spatiale

A priori, on peut penser que lire la même information sur écran et sur texte ne change pas notre manière de la comprendre : il est toujours question de décoder des caractères pour leur attribuer un sens. D’ailleurs, comme le rapporte le méédia The Conversation, les études ne permettent pas d’identifier de différence entre les deux supports en termes de compréhension dans le cas où les textes sont consultés en pleine page (quand le texte ne défile pas). Mais l’affaire se complique lorsque notre doigt fait défiler verticalement le texte : l’art du scrolling. En plus d’augmenter le sentiment d’ennui, scroller perturbe le fonctionnement de notre mémoire spatiale : la capacité à repérer la position des mots dans un texte, processus indispensable à la compréhension du texte. Par conséquent, lorsque les phrases ne figurent pas toujours au même endroit de l'écran (à la différence du papier), il est difficile de retrouver une information, que l’on a besoin de consulter à tout instant pour une lecture plus fluide et une meilleure compréhension du récit. 

Par ailleurs, une méta-analyse, faisant la synthèse d'une quarantaine d'études internationales, et portant sur 170 000 lecteurs a montré que le rétroéclairage est néfaste pour la lecture. La lumière de nos écrans, type LCD ou LED, produit des images lumineuses et riches en couleurs, mais leur projection permanente vers les yeux exige une fixation oculaire importante, ayant pour conséquences une fatigue visuelle accrue, associée à différents symptômes, en particulier des migraines. Si vous utilisez une liseuse, vous voilà épargné par ces effets délétères car cet outil dispose d’une encre électronique : la lumière ne provient pas directement de l’écran, c’est la lumière ambiante de l'environnement qui est réfléchie par la surface de l'écran vers vos yeux. Sans oublier les notifications intempestives, les publicités qui jaillissent et le contenu audiovisuel qui se lit tout seul… Bref, toutes ces sollicitations qui nous détournent de notre but : lire un texte. 

Toucher pour mieux retenir

Le bruissement d’une page que l’on tourne, la forme de l’ouvrage, son poids, son épaisseur, son odeur… Voilà un programme réjouissant pour notre cerveau ! Selon les scientifiques, on retient mieux une information lorsque nos sens sont sollicités. Une étude publiée dans la revue scientifique Plos One a démontré que les enfants présentaient une activité cérébrale très différente selon le type de support utilisé pour la lecture. Les scientifiques ont posé des électrodes sur ces chères têtes blondes et on a constaté que les enfants n’émettaient pas les mêmes ondes lorsqu’ils lisaient sur une feuille de papier et sur un écran. 

Dans le premier cas, ce sont des ondes rapides de type bêta et gamma qui ont principalement été émises. Elles sont associées à un engagement cognitif plus fort (concentration) et une attention plus élevée. Cette focalisation intense conjuguée à l’absence de perturbateurs d’attention (notifications…) permet de mieux capter les informations et de retenir les plus pertinentes. Dans le deuxième cas, ce sont des ondes alpha et thêta qui se mettent en mouvement pour créer une activité cérébrale fluide mais davantage associées à un état de relaxation, de rêverie. A la différence près que dans la lecture sur écran, contrairement à ce qui se passe dans la rêverie, on constate une surcharge d’informations parvenue au cerveau qui, peu attentif, se montre naturellement moins capable de les capter et de les retenir. La distinction entre ces activités cérébrales montre que les lecteurs sur papier sont davantage impliqués physiquement et mentalement, ce qui favorise la mémoire à long terme.

Écran et papier : deux supports complémentaires ?

Une étude menée par Geoff Kaufman (Carnegie Mellon University) et Mary Flanagan (Dartmouth College) montre que les mécanismes de mémorisation varient en fonction du support utilisé. D’un côté, l’apprentissage et la lecture sur écran contribuent à consolider des détails sur un sujet, tandis que sur papier, ils facilitent la compréhension de concepts abstraits. Comme le résume très concrètement Stéphanie Rivier, praticienne en psychopédagogie positive : “Si l’on souhaite se rappeler de la date d’un événement, l’écran d’ordinateur serait plus efficace. En revanche, pour retenir les raisons pour lesquelles il s’est déroulé, le papier sera plus pertinent.” 

Si les bénéfices de la lecture sur papier pour la compréhension et la concentration sont incontestables, la lecture sur écran a ses propres avantages en termes de flexibilité, d’accessibilité et de personnalisation. Les écrans permettent d’accéder instantanément à des contenus diversifiés et d'effectuer des recherches rapides. Des liens hypertextes et des images interactives enrichissent l’expérience et facilitent une compréhension globale. Les options de personnalisation (taille de la police, couleur, luminosité) qui permettent aux lecteurs d’adapter le texte selon leurs préférences, notamment ceux souffrant de troubles dys, placent la lecture numérique au service de l’inclusivité. Comme l’expliquent Franck Amadieu et André Tricot, dans Apprendre avec le numérique (Retz, 2020), la lecture numérique est plus exigeante, elle implique le développement de nouvelles compétences qui doivent être enseignées car elles ne s’acquièrent pas par la simple pratique.

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