Les réseaux sociaux sont-ils les bêtes noires que l'on prétend ? Démystifions quelques-unes des idées reçues concernant leur impact sur la psyché des jeunes publics.
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Instagram au petit-déj, Facebook au déjeuner et TikTok au dîner : les réseaux, on en mange tous les jours ! Et ça, ce ne sont pas les ados qui diront le contraire. Selon une étude menée par Qustodio, en 2022, les 4-18 ans auraient passé 56 min par jour sur les réseaux sociaux et près de deux heures par jour rien que sur TikTok. Mais depuis plusieurs années, ces plateformes sont sous le feu des critiques.
Accusés de faire la promotion du culte de l’apparence, de favoriser l’apparition de troubles mentaux chez les jeunes, ou encore d’être le terreau fertile au cyberharcèlement, les réseaux inquiètent jusqu’en haut lieu. Récemment, une proposition de loi instaurant la majorité numérique à 15 ans a été adoptée par l’Assemblée nationale. Son but ? Protéger les enfants des réseaux sociaux. Tout un programme.
Alors, qu’en est-il vraiment ? Les réseaux sociaux sont-ils des alliés ou bien des ennemis de la santé mentale des plus jeunes ? On a posé la question à Vanessa Lalo, psychologue clinicienne et experte en usage numérique.
Idée reçue n°1 : les réseaux sociaux ruinent la santé mentale des jeunes
Selon l’OMS, une personne sur huit dans le monde présente un trouble mental. La santé mentale est d’ailleurs un sujet particulièrement populaire sur les réseaux sociaux.
En 2022, sur TikTok par exemple, le hashtag #mentalhealth réunissait près de 60 milliards de vidéos. À cet égard, les plateformes en ligne peuvent être des espaces de réconfort. De célèbres créatrices de contenus comme Lena Mahfouf (alias Lena Situation) parlent d’ailleurs ouvertement de leur santé mentale et n’hésitent pas à faire de la prévention. « Je pensais que l’anxiété c’était un truc futile, mais parfois ça me bouffe mes journées entières donc je pense que voir des professionnels ça ne peut qu’être bénéfique. », confiait-elle dans un thread sur Twitter, il y a 3 ans.
Mais comme tout phénomène, il y a un revers de la médaille. À l’automne 2022, un nouveau challenge fait son apparition sur TikTok : le labello challenge. L’objectif ? Appliquer du baume à lèvres à chaque fois que l’on se sent triste puis mettre fin à ses jours une fois le tube terminé. Sur un réseau qui ne comptabilise pas moins de 800 millions d’utilisateurs dont 41 % sont âgés de 16 à 24 ans, l’affaire est prise très au sérieux. Certains utilisateurs se sont d’ailleurs emparés du hashtag pour faire de la prévention. Ainsi, certains experts s’inquiètent sur les effets que pourraient avoir une pratique assidue de ces plateformes sur la psyché des adolescents.
Toutefois, le manque de données et de recul rend difficile l’établissement d’un diagnostic. Actuellement au Sénat, une commission d’enquête sur l’utilisation, l’exploitation des données et la capacité d’influence de TikTok, a été créée. Auditionné à cet effet début avril, Grégoire Borst, professeur de psychologie du développement et de neurosciences cognitives de l’éducation à l’Université Paris-Cité, estimait qu’ « Il n’y a pas de lien négatif avéré et systématique avec le développement cognitif de l’adolescent. »
Un avis que partage notre spécialiste Vanessa Lalo, psychologue clinicienne experte en pratique digitale, pour qui les réseaux sociaux ne doivent pas être diabolisés. En effet, si “les réseaux sociaux peuvent renforcer des troubles préexistants, ils ne vont pas en créer”. Elle nuance ainsi les craintes qui peuvent exister sur la question en mettant en avant l’état de la recherche à ce sujet : “nous n’avons pas encore le recul scientifique nécessaire pour affirmer que les réseaux sociaux représentent un risque pour la santé mentale des plus jeunes.” En fait, “on fait beaucoup de projections, or pour voir les effets d’une recherche scientifique, il faut au moins 20 ans de recul.”
Idée reçue n°2 : les réseaux sociaux font l’apologie de la chirurgie esthétique
Pour un adolescent en quête d’identité, les réseaux sociaux peuvent être un paradis ou un enfer. Les filtres d’embellissement y côtoient joyeusement des comptes de body positivisme, qui prônent l’amour de soi et la beauté naturelle. Récemment, le filtre TikTok “Bold glamour”, qui enregistre actuellement 8 millions de vidéos sur la plateforme, défrayait la chronique. Grâce à l’intelligence artificielle (IA), ce filtre permet de gommer les petites aspérités de votre visage, et ainsi coller aux canons de beauté véhiculés par les réseaux. Non seulement le réalisme est bluffant mais l’IA le rend quasiment indétectable.
Oui mais voilà, à force de se voir à travers un filtre, ne risque-t-on pas de ne plus pouvoir se voir… sans peinture ? Une étude américaine publiée en novembre 2018, dans la revue Jama Facial Plastic Surgery, montrait que l’omniprésence des filtres sur les réseaux et l’avènement des applications de retouches photos peuvent être dangereux pour la représentation qu’on a de soi. Un phénomène qu’ils nomment “dysmorphie Snapchat”. Cette thèse a été corroborée par l’étude « Un selfie à contre-courant » menée par Dove en 2020.
Une tendance qui a dépassé le cadre universitaire puisqu’aujourd’hui, les chirurgiens tirent aussi la sonnette d’alarme. Selon l’American Academy of Facial and Reconstructive Plastic Surgery, 55 % des médecins ont reçu des patients demandant de ressembler à leurs selfies retouchés, au cours de l’année 2017. Pire, cette tendance touche des publics de plus en plus jeunes. Selon une étude de l’International Master Course of Aging Skin (le congrès européen réunissant les professionnels du secteur) de 2019, les 18-34 ans ont désormais plus recours à la chirurgie esthétique que la tranche des 50-60 ans.
La même année, en réponse au malaise ambiant, Meta s’est engagé, via un communiqué de la compagnie Spark AR, créatrice de l’option “filtre”, à supprimer les filtres Instagram “effets chirurgie esthétique”.
Pour notre spécialiste Vanessa Lalo, l’adolescence étant un moment de réappropriation de soi-même, il n’est pas étonnant que de jeunes publics aient envie de se montrer sous leur plus beau jour en ayant recours aux filtres. En revanche, gare au temps qu’on y consacre, car c’est sur la durée que l’utilisation de filtres embellissant pourrait avoir des répercussions sur l’image qu’on a de soi. Mais les réseaux sociaux ne seraient-ils pas l’arbre qui cache la forêt ? C’est en tout cas ce que suggère la psychologue. Selon elle, les réseaux et leurs filtres ne font que renforcer des problématiques préexistantes.
Pour elle, mieux vaut empêcher les enfants de regarder des émissions de télé-réalité que de les empêcher de regarder certains comptes d’influenceurs. Un état des lieux que dénoncent également Ariane Riou et Elsa Mari, dans le livre “Génération bistouri” (publié aux éditions JC Lattès). Dans cet ouvrage, les deux journalistes du Parisien enquêtent sur le rôle de la télé-réalité dans la banalisation du recours à la chirurgie esthétique chez les jeunes.
Le mot de la fin ? Les réseaux sociaux c’est comme le botox, l’excès amène à être figé… dans une autre réalité.