Vous aussi vous avez l’impression d’avoir de moins en moins de capacité de mémorisation ? Vous oubliez souvent des informations que vous avez apprises pas plus tard qu’hier ? D’ailleurs, pour être sûr de ne rien oublier, vous avez une méthode infaillible : tout noter dans votre téléphone. Tant et si bien qu’aujourd’hui, vous êtes incapable de vous souvenir du numéro de portable de vos proches (ou de leur date d’anniversaire). Ce comportement porte un nom “l’amnésie numérique”.
En 2015, une étude réalisée par l’entreprise de cybersécurité, Kaspersky Lab, définissait l’amnésie numérique comme notre “incapacité à retenir des informations importantes compte tenu du fait que nous les enregistrons souvent sur nos smartphones”. 8 ans plus tard, le développement des Intelligences Artificielles (IA) nous amène encore à repenser notre rapport à la technologie.
Tandis que les IA peuvent désormais imiter les fonctions du cerveau humain grâce au “deep learning” (apprentissage profond, en français) et qu’on se demande si l’IA est en passe de devenir l’enseignante du futur, est-ce que, ironiquement, nos technologies de plus en plus intelligentes ne rendraient pas nos cerveaux de moins en moins performants ? Les écrans, parfois désignés coupables d’engendrer troubles de la concentration et diminution de la qualité du sommeil, ne seraient-ils pas en plus responsables de notre perte de mémoire ? On a voulu en savoir plus, alors on a posé la question à un expert.
Nos usages numériques entravent notre mémoire à long terme
Francis Eustache est neuropsychologue, chercheur à l’Inserm et à l’École Pratique des Hautes Etudes, mais aussi président du conseil scientifique de l’Observatoire B2V des mémoires. Bref, notre mémoire, c’est un peu son rayon. Alors avant d’entrer dans le vif du sujet, on lui a demandé de nous expliquer comment celle-ci fonctionne. Globalement, on peut séparer le processus de mémorisation en trois grandes phases :
- L’encodage : c’est le moment de l’enregistrement de l’information. Par exemple, c’est le moment où je vais apprendre de nouveaux mots de vocabulaire.
- Le stockage : c’est le moment où je vais consolider l’information dans ma mémoire.
- Le rappel : c’est le moment où je vais récupérer l’information pour la réutiliser.
À l’ère digitale, le numérique impacte très tôt ce processus de mémorisation. Il intervient dès l’encodage puisque cette phase demande d’y consacrer un minimum de temps, des échanges avec les autres, mais surtout de l’attention. Or, “L’utilisation intempestive des écrans peut être une gêne à ces capacités attentionnelles.” En effet, “Si nous n’accordons pas notre attention exclusive à une information, elle rentre moins dans la mémoire dite “sémantique”, qui est une sorte de synthèse mentale de toutes les informations qui nous parviennent”. De plus, si Internet s’avère être une source d’information quasiment infinie, encore faut-il qu’elles puissent s’ancrer durablement dans notre mémoire. “On passe assez vite d’une information à l’autre… alors que pour acquérir des informations, il faut les traiter en profondeur”.