Selon une étude menée par GoStudent, 57 % des jeunes français aimeraient apprendre grâce à l’Intelligence Artificielle dans les cinq années à venir. Le monde enseignant est quant à lui plus mesuré. Alors, l’IA : opportunité d’apprentissage ou cata pédagogique ?
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L’Intelligence Artificielle (IA) est-elle l’avenir de l’éducation ? GoStudent, une entreprise spécialisée dans le soutien scolaire, a publié les résultats de son enquête sur l’éducation du futur. Elle révèle que plus de la moitié des élèves de 14 à 16 ans en France (57 %) aimeraient que leur école utilise davantage d’IA dans les 5 prochaines années. Une volonté également partagée par le ministre de l’éducation nationale. Selon sa “stratégie du numérique pour l’éducation 2023-2027”, Pap NDiaye souhaite permettre aux élèves de “comprendre le fonctionnement des outils et dispositifs numériques, savoir les utiliser de manière responsable et disposer de premières compétences en codage”.
Paradoxalement, sur le terrain, l’IA est accueillie avec plus ou moins de réticence par le milieu éducatif. En janvier dernier, Sciences Po a décidé d’interdire l’utilisation de ChatGPT, ainsi de tous autres outils ayant recours à l’IA “lors de la production de travaux écrits ou oraux”.
Entre soupçon de tricheries et questionnements déontologiques, qu’elle pourrait être la place de l’IA dans l’éducation dans les années à venir ?
L’IA, un outil du quotidien
Aujourd’hui, l’IA fait partie de notre quotidien. Et une chose est sûre, c’est qu’elle nous facilite grandement la vie. Vous ne nous croyez pas ? Pourtant c’est cette technologie qui est présente dans votre GPS, ou encore dans vos assistants vocaux (comme Siri chez Apple ou OK Google chez Google…). Grâce à elle, vous pouvez même réveiller l’artiste qui sommeil en vous (ou pas). Un nouveau terrain de jeu (et d’apprentissage) pour toute une génération. Car, si les jeunes de la génération Z (1997-2010) ont connu l’apogée d’Internet, ceux de la génération Alpha (2010-2025) sont nés à l’ère des IA. Ce qui donne parfois lieu à des chocs de génération plutôt cocasses.
Dans une vidéo TikTok hilarante, devenue virale, une enseignante raconte qu’elle s’est rendu compte qu’elle enseignait à la génération Alpha lorsqu’au lieu de se faire appeler maman par ses élèves (lapsus assez courant), l’un d’eux l’a appelé “Alexa”, du nom de l’assistante vocale d’Amazon.
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Le terme “génération Alpha” (première lettre de l’alphabet grec) est attribué au chercheur en sciences sociales Mark McCrindle. Né la même année que l’iPad et Instagram (en 2010), il considère cette classe d’âge comme une “génération de verre”, en référence aux écrans auxquels ils sont confrontés depuis tout petit.
Selon un récent rapport de Hotwire et Wired Consulting, “Understanding Generation Alpha” (Traduction : “comprendre la génération Alpha”), il s’agira également de la première génération façonnée par l’expérience de l’intelligence artificielle. D’ailleurs, certains jouets à base d’IA leur sont spécifiquement destinés. Le rapport prend l’exemple de Hello Barbie, une poupée connectée commercialisée en 2015 sur le marché américain. Développée par Mattel et ToyTalk, la poupée “intelligente” était capable de tenir une conversation et de répondre aux questions grâce au “Machine Learning” et au “Language Processing”. Mais que faire de toute cette IA ?
L’IA pourrait-elle favoriser l’apprentissage des enfants ?
Dès 2025, cette génération représentera environ 2,5 milliards de la population mondiale (sur 9 milliards d’habitants). Âgés de 13 ans pour les plus vieux, les Alpha remplissent actuellement les bancs de l’école.
Guidé par l’idée que la technologie va révolutionner l’apprentissage de demain, Felix Ohswald, cofondateur et PDG. de GoStudent, a souhaité “entendre la voix des enfants dans le système éducatif actuel, pour orienter nos décisions”. GoStudent a ainsi interrogé un panel représentatif de 6 147 parents et 6 147 enfants âgés de 10 à 16 ans à travers l’Europe, dont 1 000 en France. Résultat, 74 % des jeunes interrogés affirment que la technologie rendrait leur apprentissage plus facile et 75 % des élèves en France aimeraient que leur école intègre davantage de nouvelles technologies dans leur scolarité.
Une réflexion à laquelle Mélodie, professeure des écoles, adhère complètement. Quand ses collègues lui parlent des dangers des IA, elle pense directement à ses élèves en difficulté, voire en décrochage scolaire pour qui “ça pourrait être une aide ou une source de motivation”. Elle y voit un support pour l’apprentissage de l’écriture, “Par exemple avec ChatGPT, qui peut t’écrire une histoire avec des mots-clés, ça pourrait les fasciner et les pousser à lire ces histoires dont ils seraient un peu les écrivains.” Pareil pour l’apprentissage des langues étrangères : “l’IA pourrait permettre d’intégrer des robots qui parlent plusieurs langues.”
L’IA comme support d’apprentissage, une piste qui pourrait s’avérer prometteuse pour l’enseignement. Actuellement, Laurence Devillers, professeur en IA à Sorbonne Université et chercheuse au CNRS-LISN (Laboratoire interdisciplinaire des sciences du numérique), mène une expérience dans une école des Hauts-de-Seine. Dans une salle, des enfants sont placés face à un humain. Dans une autre, ils sont confrontés à une IA, sous la forme d’un robot humanoïde ou d’une Google Home. Résultat : “Les enfants suivent davantage les instructions de l’intelligence artificielle. Par ailleurs, l’humain parvient moins à les faire changer d’avis que le robot. Car il y a un côté magique”, a-t-elle déclaré au Figaro.
Interrogée sur ce qu’elle pense de l’utilisation de l’IA dans les établissements scolaires, la chercheuse estime qu’il ne serait “pas éthique d’interdire et de ne pas utiliser ces objets sociotechniques qui arrivent dans le grand public, dans notre société, et qui ont un impact sur notre devenir”.
IA à l’école : les apprivoiser plutôt que les subir
Il est vrai que dans le milieu éducatif, l’IA suscite moult débats. Romain Badouard, professeur à l’Université Panthéon Assas (Paris II) identifie deux grosses limites aux IA tel que ChatGPT, la première c’est qu’il “ne distingue pas les sources qu’il utilise et donne des réponses qui sont vraisemblables mais pas toujours vraies. Ça, c’est un gros danger pour l’enseignement et la recherche.” Selon le spécialiste en sciences de l’information et de la communication, la seconde relève d’un “vieux débat” datant des débuts d’Internet, sur l’impact du numérique sur notre cerveau et à quel point son usage peut limiter nos compétences cognitives “et là, c’est vrai qu’en termes d’esprit analytique, de mémorisation, ça peut nous inquiéter.”
Pour Jean-Claude Lescure, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Cergy-Pontoise, “se pose la question du plagiat”. Preuve en est, en février dernier, une vingtaine d’étudiants de l’Université de Strasbourg ont dû repasser un examen en présentiel, après avoir triché au moyen de ChatGPT. Une problématique qui n’est cependant pas née avec le célèbre chatbot d’OpenAI, “depuis des années, on utilise des logiciels comme ‘compilatio’ pour détecter les copies plagiées”, déclare l’universitaire.
Alors, faut-il bannir les IA de l’enseignement, comme le suggère certain ? “On ne peut pas rester totalement à côté” selon l’historien. Un avis également partagé par Romain Badouard : “Ça me semble assez inévitable que les étudiants aient accès à ce type d’outil dans le futur et je pense qu’il est plutôt important d’apprendre à bien s’en servir plutôt que de chercher à l’interdire.” L’idée ? Apprivoiser l’outil aujourd’hui, pour ne pas le subir à l’avenir, “car ce qui est intéressant dans ces outils c’est la manière dont on va les orienter.”
L’IA c’est peut-être pour demain, mais pas pour aujourd’hui
L’utilisation de l’IA dans l’enseignement reste pour l’heure majoritairement théorique sur le terrain. Selon l’étude menée par GoStudent, aujourd’hui seuls 8% des enfants interrogés utilisent l’IA à des fins d’apprentissage à l’école. En France, seuls 45% des élèves diraient que leurs professeurs sont suffisamment entraînés et les encouragent à utiliser la technologie pour étudier.
La faute aux manques de moyens selon Mélodie : “Par exemple dans mon école en REP, il y a une salle informatique sans ordinateurs, ils ont reçu des tablettes cette année certes, mais ça faisait des années qu’ils n’avaient plus d’ordi et il n’y a toujours pas de connexion internet.”
Que les inquiets et les sceptiques se rassurent, “nous sommes loin de nous faire envahir par l’IA dans l’Éducation Nationale”, conclut-elle.