Les émoticônes peuvent-ils changer le monde ?

Il se présente comme le véhicule de nos émotions derrière les écrans. Désormais loin du simple bonhomme jaune, l’émoji porte avec lui la diversité des réalités (sexe, genre, ethnie, culture…). Bien plus qu’un simple gadget, il est aujourd’hui le vecteur d’un monde plus tolérant comme le concède un rapport très sérieux !

Publié le : 12-05-2021

Les émoticônes peuvent-ils changer le monde ?
Mason Jones by Unsplash

Temps de lecture : 4 minutes

 

Un garçon au féminin, une fille au masculin… Le paysage des émoticônes (ou « émojis ») affiche chaque année un côté toujours plus inclusif. « Je crois que les émojis ont le pouvoir de créer un monde plus empathique et compatissant », cette ode aux petits dessins ultra colorés que nous avons sur nos smartphones, c’est Paul D.Hunt qui l’a dressée. Designer de personnages et aficionados de l’émoji, c’est tout naturellement que Paul a rejoint le sous-comité émoji (ESC) du consortium Unicode en tant que délégué d’Adobe il y a un peu plus de cinq ans, et déclare aujourd’hui sa flamme à ces petites créations qui envahissent nos quotidiens. « Ces éclaboussures typographiques de couleur sont plusieurs choses à la fois : un système de communication visuelle, un moyen amusant et amical de s’exprimer, et parfois le carrefour des cultures et la lutte pour l’équité et l’inclusion », s’enthousiasme Paul. Alors dites-nous émoticônes, comment se porte le monde ? 

Rien que pour cette année 2021, ce sont plus de 200 nouvelles possibilités d’émojis qui vont apparaître au fur et à mesure sur nos téléphones mobiles. Outre les nouvelles déclinaisons du classique émoji cœur ou celui de la tête étonnée, c’est surtout une possibilité plus étendue de modifier la couleur des ces petits bonhommes, leurs cheveux ou encore leur pilosité qui va être mise en place. Une malléabilité de rigueur puisque le rapport d’Adobe précise que seule la moitié des utilisateurs d’émojis trouvent que leur identité est correctement retranscrite dans la palette actuelle des émoticônes. Un challenge de taille, mais rien d’impossible.

Une image vaut mille mots ? 

A l’image du langage morse, les émojis constituent à eux-mêmes de véritables alternatives aux langages traditionnels. Il n’est pas rare de combiner ces petits pictogrammes pour exprimer un sentiment par écrans interposés à une personne ne parlant pas la même langue. Un émoji pop-corn + un émoji pellicule peut être traduit par  : « Veux-tu aller au cinéma avec moi ? » par exemple. Pratique n’est-ce pas ?

Mais pour arriver à une telle fluidité dans les communications par l’intermédiaire d’émoticônes, faut-il encore que ces derniers puissent exprimer les us et coutumes de chacun et de chacune. En effet, selon le rapport Adobe, les utilisateurs d’émojis s’accordent à 83 % pour que ces derniers deviennent des représentations plus inclusives de leurs modes de vie. Un pourcentage élaboré dans le cadre d’une enquête menée par la firme : 7 000 utilisateurs adeptes d’émojis et aux cultures régionales différentes, venus de 7 pays (États-Unis, Royaume-Uni, Allemagne, France, Japon, Australie et Corée du Sud) ont été interrogés.

« Si nous ne sommes pas en mesure de nous exprimer avec précision parce que nous ne trouvons pas de représentation d’emoji qui nous convienne, nous ratons l’occasion de partager des aspects significatifs de notre personnalité avec les personnes que nous rencontrons » précise en ce sens Paul D.Hunt.

Pour une meilleure inclusion, prôner la différence 

Sur le banc de touche, les personnes en situation de handicap se sentent par exemple encore trop boudées dans l’univers émoticônes. Pourtant, la marche pour une meilleure inclusion de ces dernières semble déjà bien entamée : personnes malvoyantes, en fauteuil roulant ou encore ayant une prothèse de bras ou de jambe, les nouveaux émojis commencent à prendre en compte les particularités de chacun. « Moins de la moitié, soit 37 %, des utilisateurs d’émojis ayant un handicap ou une déficience se sentent représentés dans les emojis actuellement disponibles. Certaines personnes interrogées souffrant d’un handicap aimeraient voir des émojis plus variés montrant plus d’objets d’aide comme une prothèse auditive par exemple », illustre Paul D.Hunt.

Ces efforts sont à souligner, mais selon certaines personnes en situation de handicap qui ont été interrogées, réduire leur différence uniquement à ces objets (cannes, fauteuils, prothèses) pourrait en réalité diminuer leur capacité à s’exprimer de manière authentique. La question est épineuse…

Tous ensemble, trouvons un terrain d’entente

Le succès des emojis entretient très certainement sa complexité : comment faire entendre toutes les voix du monde ? « Tout cela nous ramène au grand défi que nous devons relever : comment allons-nous changer notre culture pour qu’elle soit plus inclusive et qu’elle amplifie les voix de ceux qui ont traditionnellement été mal desservis, sous-représentés et parfois même ignorés ? », s’interroge en ce sens Paul D.Hunt. Face à une infinité d’histoires à raconter, la stratégie alors évoquée dans le rapport est claire : impossible de construire un monde aux emojis « polyglottes » tout seul.

Chaque personne doit donc au fur et à mesure apporter sa pierre à l’édifice. Pour ce faire, depuis 5 ans, Adobe soutient l’organisation Emojination à la devise limpide : « Des emojis pensés par les personnes et pour les personnes ». Ici tout le monde peut revendiquer son envie personnelle de dessins colorés. C’est d’ailleurs grâce à cette organisation que des émoticônes représentant le sari, le hijab, le boomerang, la piñata, la poupée matryoshka, le long tambour, l’arepa ou encore le bubble tea ont fait leur apparition publique.

L’emoji est-il en bonne voie pour devenir la tribune de demain ? C’est en tout cas ce que nous croyons tout comme Paul D.Hunt : « J’espère que l’emoji peut contribuer à susciter plus de compassion en nous tous, et c’est pourquoi je suis heureux de voir beaucoup d’optimisme dans les résultats de notre enquête. C’est peut-être ma vision trop optimiste de ces petits personnages de dessins animés, mais j’ai bon espoir qu’en rendant nos systèmes de communication interpersonnels plus inclusifs, nous serons en mesure de mieux nous voir et nous comprendre, de faire preuve de plus d’empathie et de créer une culture plus coopérative qui met en lumière la force qui découle de la valorisation des expériences et des voix diverses ». On hâte de voir la suite !

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