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L’essor fulgurant de l’intelligence artificielle (IA) bouleverse en profondeur la pratique des devoirs à la maison, interrogeant professeurs, élèves et parents sur le sens, les objectifs, et la méthodologie même des apprentissages hors de la classe. Alors que ChatGPT, Copilot et autres assistants se sont imposés dans la panoplie numérique des lycéens, certains enseignants se demandent si la rédaction de devoirs écrits a encore un sens ou risque, à terme, de disparaître.
Quand l'IA challenge le devoir écrit
« J’en viens même à revoir mes positions les plus basiques en ce qui concerne la communication écrite : dans de nombreuses circonstances, je ne suis plus si sûr qu’elle soit utile, ni même souhaitable », se désole l'écrivain et journaliste Thomas Chatterton Williams dans Le Monde. Enseignant depuis trois ans, il a vécu un semestre particulièrement déstabilisant depuis l’arrivée de l’IA dans son université. Son propos traduit le vertige d’une partie du corps enseignant face à des productions scolaires bien formatées mais générées par une machine.
Ce phénomène n’est pas sans rappeler « l’effet Google Maps » sur le sens de l’orientation : la délégation répétée à l’IA pour la composition rédactionnelle contribue à externaliser nos capacités d’assimilation, au risque d’éroder la mémoire, la créativité et la capacité à raisonner. Des études récentes confirment que les élèves bénéficiant massivement d’assistants IA réalisent des progrès immédiats, mais peinent à restituer leurs acquis lors des évaluations sans assistance.
Comment l'école s'adapte ?
Suppression de devoirs maison jugés reproductibles par une IA, déplacement de l’évaluation vers l’oral ou la construction de projets, travail sur l’explicitation des consignes… la salle de classe se transforme. Certains enseignants suppriment purement et simplement les devoirs maison classiques, ne souhaitant pas que l’IA écrive à la place de l’élève. D’autres proposent des devoirs qui intègrent l’IA comme « outil » à questionner, pour apprendre à l’apprivoiser.
Face à ces défis, professeurs et institutions s'accordent à proposer une refonte profonde de la gestion des devoirs et du rapport à l’IA à la maison. Parmi les pistes :
- Former les élèves à un usage raisonné et critique de l’IA : expliciter les limites de l’outil, encourager la formulation de prompts pertinents, développer l’esprit critique face aux productions automatisées.
- Mettre en place un code d’autorisation : certains établissements recommandent d’indiquer pour chaque devoir le niveau d’autorisation d’usage de l’IA (autorisé, limité, interdit), selon l’objectif de l’exercice.
Au niveau 1, l’élève peut utiliser l’IA comme il le souhaite et sans avoir à en rendre compte. Les élèves sont ainsi responsabilisés dans leur manière d’organiser leur travail et de mobiliser les ressources à leur disposition. Au niveau 2, l’élève peut utiliser l’IA mais doit expliquer comment (quel outil, quels prompts, quelle analyse des résultats). Les élèves développent une posture métacognitive, apprenant à interroger la validité des réponses et à exploiter l’IA comme un outil d’apprentissage, et non comme un substitut. Au troisième niveau, le recours à l’IA est fortement déconseillé ; il convient alors d’expliciter la raison de cet interdit et de fournir aux élèves les étayages nécessaires à la réussite de la tâche. Les élèves doivent comprendre qu’ils doivent réaliser seuls l’exercice pour en tirer un bénéfice cognitif.
Ce code permettra d’uniformiser les attentes des enseignants et d’éviter des ambiguïtés sur ce qui est autorisé ou non. - Privilégier des modalités orales ou des devoirs personnalisés : pour distinguer l’élève de l’IA, le travail oral et l’analyse critique sont valorisés. L’objectif n’est plus la simple restitution, mais la démonstration de la compréhension, la capacité à reformuler ou à discuter une réponse générée par l’IA.
- Encourager la création de fiches de mémorisation ou l’apprentissage par le questionnement grâce à des outils IA (quiz, auto-tests, résumés) : utilisés de façon réfléchie, ces fonctionnalités peuvent soutenir la mémorisation. Par exemple, certains enseignants demandent aux élèves de faire critiquer la réponse d’une IA au lieu de simplement reproduire un texte généré par ChatGPT, développant ainsi un double niveau d’analyse.
La correction des copies : l’IA entre gain de temps et vigilance éthique
Et demain, les devoirs seront-ils notés par une IA ? Des expérimentations récentes, notamment à l’EDHEC, dessinent un avenir proche où la correction assistée par IA pourrait se généraliser pour les devoirs standardisés, tout en maintenant une indispensable supervision humaine. Les enseignantes Emmanuelle Deglaire (droit) et Peter Daly (management) soulignent :
- Gain de temps et homogénéité : l’IA se révèle efficace pour la majorité des copies, réduisant la charge de correction.
- Bénéfice pédagogique : en déléguant l’évaluation purement sommative, l’enseignant peut se concentrer sur l’accompagnement personnalisé ou la remédiation.
- Limites et vigilance : pour les copies sortant des cadres attendus, la correction humaine reste cruciale afin de valoriser la créativité et l’esprit critique des élèves
Les étudiants ont néanmoins manifesté un attachement au lien humain que représente la correction manuelle, percevant la notation par IA comme une dépersonnalisation de la relation éducative.
Une chose est certaine, la copie est à revoir.