La vie incroyable des gens devenus des mèmes

Une petite fille qui sourit malicieusement devant une maison qui brûle, une autre, toute aussi troublante, au regard médusé et un chat anormalement bougon… Ces images, étranges et amusantes, sont forcément passées sur votre écran. Mais comment ces anonymes sont devenues des stars d’Internet ? Comment ont-ils vécu leur succès ? À quel prix ? On vous dit tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les mèmes. 

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Les success kids

Il était une fois, sur une plage de sable blanc, maman prenant une photo de son enfant. Elle finit par la publier sur les réseaux sociaux.  C’est généralement comme ça que commencent les success stories de ces enfants devenus stars d’Internet. Le bébé, alors âgé de 11 mois, serre le poing avec une expression de détermination. Il vient en fait de manger du sable. Sa bouille captive les internautes et la photo amasse des centaines de likes le jour-même. En un an, les parents voient leur bébé devenir une sorte de mascotte d’Internet. Les internautes les plus habiles s’emparent de la photo pour y ajouter des éléments, jouant par exemple avec le décor (incrustation d'un autre bébé en arrière-plan devant un château de sable), des accessoires (un sabre) et des légendes humoristiques, pour le meilleur comme pour le pire. Sammy Griner, de son vrai nom, devient un mème malgré lui, et sa version la plus aboutie sera le “Success Kid”. Un surnom qui résonne comme une victoire personnelle puisque, né prématurément, l’enfant a survécu à une opération du cerveau âgé de seulement six semaines.

@minutebuzz La folle histoire de Sam Griner, l'enfant du mème "Success Kid" 😱 #successkid #meme #storytime ♬ son original - minutebuzz

Le Success Kid apparaît alors sur des affiches publicitaires, à l’occasion d’événements majeurs comme le Super Bowl, fait la Une de journaux et sera même relayé sur le compte X de la Maison Blanche ! Grâce à sa popularité, il réussit à mobiliser les internautes pour une collecte de fonds destinée à soigner son père, qui doit subir une greffe du rein. “J'espère arriver un jour à créer quelque chose d’aussi inspirant pour les gens que Success Kid l’a fait”, confie au média américain BuzzFeed le principal intéressé, qui compte aujourd'hui 17 printemps. Comme lui, d’autres enfants ont connu une notoriété mondiale en un clin d'œil grâce aux mèmes.

Surnommée "Disaster Girl", Zoe Roth a enflammé la Toile avec son sourire malicieux, postée devant une maison en feu à l’arrière-plan. En 2021, alors devenue jeune femme, elle vend l'original de son mème en tant que NFT (jeton non fongible) pour près de 500 000 dollars. Une somme colossale dont elle se sert pour couvrir ses frais d’université et faire don à des associations caritatives. Et comment ne pas citer Side Eye Chloe, dont le (grand) regard médusé, immortalisé par sa maman, fascine les internautes dès sa publication en 2013. Quatre ans plus tard, le géant américain Google lui propose un contrat publicitaire au Brésil.

Même pas drôle

Dans certains cas, ce succès soudain peut vite tourner au cauchemar, notamment lorsque l’image est capturée à la période critique de l’adolescence. Kyle Craven (l’ado ingra baptisé “Bad Luck Brian”) et Laina Morris (la jeune femme aux yeux écarquillés derrière Overly Attached Girlfriend) ont inspiré davantage de moqueries que de "mignonnerie". L’exemple le plus marquant est celui de Ghyslain Raza, mieux connu sous le nom de "Star Wars Kid". En 2003, ce Québécois de 14 ans s'enregistre dans un studio de son collège en train de simuler un combat au sabre laser avec une ramasse-balles de golf. Tombé entre les mains de camarades malintentionnés, l’enregistrement vidéo est numérisé puis mis en ligne sur un site de partage à son insu. Deux ans plus tard, la vidéo est uploadée sur YouTube et se répand dans le monde entier. Très vite, les parodies pullulent dans les médias et Star Wars Kid devient la risée. Il s’agit du premier cas de cyberharcèlement de masse. 

Un documentaire intitulé Dans l'ombre du Star Wars Kid (réalisé par Mathieu Fournier) lui a d’ailleurs été consacré. À cette occasion, le protagoniste raconte son vécu dans un entretien accordé à l’ADN, et préconise l’attitude à adopter pour éviter de subir conséquences d'une telle memefication : “Il faudrait apprendre ces sentiments aux enfants, surtout s’ils ne les ressentent pas quand ils regardent des vidéos sur Internet. Cette absence d'émotions est d’ailleurs normale parce que l'écran impose une distance […] L’idée consisterait alors à ne pas réagir directement, mais bien d'attendre pour adopter des comportements plus réfléchis.” Ghyslain Raza y aborde également le sujet de la législation, nécessaire pour protéger la vie privée en ligne.

Et le droit à l'image ?

La création d'un mème est imprévisible. Une image ou une vidéo, partagée initialement par un petit groupe de personnes se retrouve propulsée sur les plateformes comme Twitter, Reddit, et TikTok, qui jouent un rôle crucial dans la propagation rapide des mèmes. Cette viralité rend difficile le contrôle du droit à l’image :  Internet n’ayant pas de frontières et les lois sur l’exploitation de l'image variant d’un pays à l’autre pays, la protection des droits individuels s’en trouve compliquée. À moins que les personnes concernées ne prennent des mesures juridiques.

Nos amis les animaux aussi sont concernés par ce droit à l’image, que certains propriétaires n’hésitent pas à rentabiliser. C’est le cas de “Grumpy Cat", une chatte américaine à l’irrésistible moue boudeuse (dûe à une malocclusion dentaire) dont la carrière décolle en 2012 après avoir été repérée sur Reddit. Sa propriétaire, Tabatha Bundesen, a récolté plus d’une centaine de millions de dollars en vendant son image à travers le monde, engendrant produits dérivés ou des apparitions sur le grand et petit écran. Le matou finit par se retrouver dans de nombreuses émissions de télévision américaines, comme le "Morning show" ou encore "American Idol" auprès de la chanteuse Jennifer Lopez. A sa disparition en 2019, le félin était à la tête d’un véritable empire, notamment grâce aux procès intentés par sa “maîtresse” usaient des droits de propriété intellectuelle : droit d’auteur, droit des marques, contrats de licence, etc. Il n’y à plus qu’à vous lancer ! 

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