Pour contourner la censure de certains mots sur les réseaux sociaux, leurs utilisateurs rivalisent d'ingéniosité dans la création d'alternatives. Jusqu'à inventer une nouvelle langue : l'algospeak.
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Si vous vous sentiez dépassé par le langage de votre ado jusqu’à présent, préparez-vous à être complètement perdu avec la nouvelle langue à la mode, lancée sur Tiktok. Un nom pour l’identifier : l’algospeak. Un principe : pour contourner les restrictions imposées par les algorithmes, il faut s’adapter et créer ses propres codes.
Mais, avant tout, c’est quoi un algorithme ?
Ce qui s’affiche sur votre fil d’actualité, les vidéos que vous voyez défiler, l’ordre des publications… tout cela est le fruit d’un choix, effectué par un algorithme aux objectifs définis par ses créateurs. Par exemple, Facebook est en constant balancement entre : faut-il mettre davantage les publications de vos amis en avant sur votre fil d’actualité ou faut-il mettre l’exergue sur celles de comptes officiels ?
Sur Twitter, c’est la question des bulles sociales qui est souvent mise en avant : faut-il enfermer les utilisateurs dans des contenus produits par des gens qui leur ressemblent (centres d’intérêt, opinions politiques, abonnements en commun) ou laisser une fenêtre ouverte sur le reste du réseau social, pour découvrir des points de vue ou des choses avec lesquels nous ne sommes pas familiers ?
Bref, l’algorithme choisit ce que vous voyez (ou pas) quand vous ouvrez un réseau social, selon un système de règles.
Et l’algospeak dans tout ça ?
Une fois que l’on comprend ces règles, on peut les détourner ! Et c’est là qu’intervient l’algospeak. Des publications contenant des mots jugés comme peu souhaitables par le réseau social sont censurés ou peu mis en avant (c’est ce qu’on appelle le shadowban).
L’algospeak (mot valise composé d’algorithme et de speak, parler en français), c’est le détournement linguistique face à ces règles, pour continuer à être mis en avant, tout en continuant à se faire comprendre.
Et c’est un langage 2.0 très utilisé sur Tiktok, réseau social particulièrement strict sur les mots employés dans ses vidéos. Plus précisément sur les termes pour parler de santé mentale ou qui évoquent les relations sexuelles, la grossesse ou les règles.
On ne parle plus de mort (death) mais d' »unalive » (littéralement « ne pas être vivant ») et le sexe n’existe plus, on parle désormais de « seggs ». La dépression a disparu au profit de la « depre$$ion ». Les personnes antivaccins, eux, ont commencé à utiliser l’emoji carotte pour désigner le vaccin. Du côté de la côté LGBTQ, le terme « lesbian » (ou lesbienne en français) est remplacé par « le$bian » et « gay » par « fruity » (ou fruité).
Un procédé bien plus vieux qu’internet
Mais ces ajustements du langage sont loin d’être nés avec Tiktok. Ce n’est pas un hasard si l’algospeak est souvent désigné par les experts comme un langage « ésopien », du nom de l’auteur Esope qui a inspiré les fables de Jean de la Fontaine. Comme ses récits, qui utilisaient les animaux pour critiquer de manière détournée le pouvoir, sur Tiktok, on use de procédés de diversion pour parler de ce que l’on souhaite.
Pas de panique si vous n’êtes pas déjà bilingue pour autant ! L’algospeak est une langue plus que vivante : elle évolue au fil des besoins et, surtout, de l’algorithme qui prend peu à peu les nouveaux termes en compte. Alors, il est toujours temps de prendre le train en marche ! Et comme disait Jean de la Fontaine : « Rien ne sert de courir, il faut partir à point. »