Les “tracances”, ça fonctionne ?

Lancer un Zoom depuis un bar de plage ? Ça passe crème. Encouragés à télétravailler pendant les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024, les salariés du tertiaire sont de plus en plus tentés par cette option hybride qui consiste à travailler depuis un lieu vacancier. Travailler dans un cadre exotique, hérésie ou panacée ? On vous donne les avantages et les inconvénients de cette tendance.

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Si certains patrons tentent de ramener leurs salariés au bureau, le télétravail semble bien ancré dans le quotidien des Français. En effet, plus de 45% des actifs en France ont télétravaillé deux jours par semaine en 2023. Une tendance qui devrait s’amplifier à l’approche des Jeux Olympiques de Paris 2024, puisque, d’après une étude menée par OnePoll et Abritel, 60 % des Parisiens actifs comptent télétravailler pendant cette période d’exode. Et pourquoi pas en faire une occasion pour prolonger ses vacances ? 

Outre la salle de spa, la laverie, et autres lieux insolites pour télétravailler, certains actifs choisissent d’établir tout simplement leur bureau sur… leur lieu de vacances. Ce mode de travail hybride baptisé “workation” (en anglais, contraction de “work”, travailler, et “vacation”, vacances), a déjà séduit 74% des Américains selon un sondage Harris. Pas étonnant, puisqu’aux États-Unis, les salariés cumulent en moyenne 10 jours de congés payés par an. Leurs voisins Québécois, très attachés à la francophonie, préfèrent parler de “tracances”. Les Français, déjà très agiles pour cumuler les ponts au mois de Mai, sont-ils prêts à télétravailler dans un cadre flexible, traditionnellement réservé aux loisirs ? S'il est probable que cela convienne à certains travailleurs, ce néologisme remet en question le cloisonnement entre les temps de travail et de repos.

Télétravail optimisé et confiance

Si on arrive à travailler à Courbevoie ou à Levallois-Perret en télétravail, il n’y a pas de raison qu’on ne puisse pas aussi bien travailler à Biarritz ou au Maroc”, assure le sociologue du travail Xavier Zunigo sur France Inter. “À partir du moment où le télétravail s'institutionnalise et devient la norme dans un certain nombre d'entreprises, il n'y a aucune raison que les tracances ne soient pas acceptées”, explique l’expert, qui affine la définition du concept : “ce n'est pas la colonisation des vacances par le travail, mais bien le travail qui s'exerce dans un autre lieu atypique, moins conventionnel et plus dépaysant.” Des plages de mois entiers sont même aménagées pour les nomades numériques (ou digital nomads) qui disposent de visas spécifiques.

Les outils de télétravail indispensables

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Si le phénomène est donc positif pour Xavier Zunigo, il nécessite, à l’instar du télétravail, une relation de confiance entre les patrons et les salariés, ainsi qu’une bonne capacité d’autorégulation. A ceux qui craignent une baisse de performance et une perte d’émulation entre collègues, le chercheur rappelle que nous avons également besoin de moments d’immersion, car “le travail n’est pas que projets et collaborations”. Risques de surengagement, d’isolement, difficulté pour l’entreprise à fidéliser… toute médaille à son revers. “Il y a autant d'avantages et de désavantages dans un open space que chez soi", conclut l’expert. 

Jeu d’équilibre

Pour Alexandre des Isnards, auteur de La visio m’a tuer (éd. Allary), où il compare LinkedIn à la nouvelle cafet’ des “sans bureau fixe”, les tracances sont avant tout une source de frustration pour l’employé et de mauvaise ambiance pour les gens qui l’accompagnent. Celui que certains définissent comme un anthropologue du travail alerte sur les risques de micro working : à force de pouvoir être pratiqué de partout et tout le temps, ce travail omniprésent fragilise la frontière entre vie privée et vie personnelle, qui, si elle disparaît, conduit généralement au burnout. “Est-ce que c’est le confort d'aménager son temps et de gagner du temps pour les loisirs ou c’est permettre au travail de s’insinuer là où il ne devrait pas être ?” s’interroge-t-il. Dans son ouvrage, l’auteur relate avec humour des situations emblématiques liées à l’avènement du travail à distance, dézinguant les réunions hybrides (mi-Teams, mi-présentiel) complètement foireuses et contre-productives. Si “les écrans ont fait reculer la présence d’un cran”, les convertis ont droit à des tracances réussies. 

Quelques recommandations à l’usage des tracanciers : 

  1. Méfiez-vous des réseaux Wifi publics, surtout lorsque vous traitez des informations confidentielles. Si nécessaire, consultez le service informatique de votre entreprise pour des conseils. Si vous télétravaillez sans VPN sur un réseau public alors que vous êtes censé utiliser une connexion sécurisée, vous pourriez par exemple faire l'objet d'une sanction disciplinaire.

  2. Assurez-vous une bonne connexion : ne laissez pas une absence de réseau perturber votre workation ! En cas de mauvaise connexion Wifi, faites un partage de connexion avec votre mobile ou munissez-vous d'une clé de connexion 4/5G.

  3. Respectez vos horaires de travail : même en vacances, que ce soit en France ou à l’étranger, informez votre supérieur d’un potentiel décalage horaire et mettez-vous d’accord sur le planning.

A l’attention des employeurs : le contrôle permanent est interdit. La CNIL en donne des exemples : webcam, logiciels qui enregistrent les frappes, obligation pour le salarié d’effectuer très régulièrement des actions pour démontrer sa présence derrière son écran comme cliquer toutes les X minutes sur une application...

Enfin, ne faites pas trop les zinzins. En cas d’incident en télétravail n’ayant aucun lien avec vos responsabilités professionnelles, cela ne sera pas considéré comme un accident de travail.

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