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Utilisatrice de Hinge depuis un an et demi et de Bumble depuis un mois, Myriam, la quarantaine est quelque peu déçue, notamment après avoir récemment fait une belle rencontre, qui n’a finalement pas abouti. Pendant des années, Myriam regardait ces applications de rencontre de loin. Ouverte et curieuse, elle a finalement sauté le pas pour s’ouvrir à des personnes issues d’autres milieux professionnels et origines sociales. Depuis quelque temps, elle constate cependant qu’au même titre que tous les réseaux sociaux, les applis de dating sont soumises à un nouveau rythme, plus effréné. « La rencontre n’a plus rien de spontané, les gens sont de plus en plus exigeants et il faut remplir toutes sortes de critères pour avoir des likes », regrette-t-elle. De poursuivre : « il y a une espèce de rentabilité, d’uberisation des rencontres et le pourcentage de transformation entre le match, la rencontre et la potentielle relation est très faible ». Si elle ne songe pas à renoncer complètement aux apps, elle minimise ses connexions et mise davantage sur les circuits courts : les « potes de potes », les soirées ou la rencontre fortuite dans la rue, espérant tomber sur l’âme sœur.
Même son de cloche pour Delphine. En quête d’amour, elle privilégie les rencontres dans la vie réelle mais reste inscrite sur les apps afin d’optimiser ses chances, malgré son emploi du temps de ministre et son fils qu’elle a en garde alternée. Pourtant, chaque connexion est source de culpabilité. « Je continue à y aller de temps en temps mais je trouve que ces applis sont humiliantes et dévalorisantes parce qu’on doit se vendre comme un produit et que du jour au lendemain, une personne avec qui on échangeait peut disparaître sans crier gare », raconte-t-elle. Appelée Ghosting, cette incivilité ‑ voire impolitesse ‑ que l’on pourrait traduire par désertion, est aussi ce qui refroidit Myriam. « Il y a aussi les « unmatch », les faux profils, les mensonges sur les âges pour tromper les algorithmes… », indique-t-elle. Toutes deux ont un peu l’impression d’être perdues dans une masse interchangeable. « Et même si on se définit comme des femmes indépendantes, non tributaires du désir des hommes, la réalité, c’est que s’ils le veulent, ils arrêtent de discuter avec nous », conclut Delphine.
Amandine se confronte elle aussi à la même « dating fatigue ». Pour elle, il y a un véritable ras-le-bol de voir la même typologie de profils et surtout chez les hommes. « On constate une énorme récurrence dans les professions, pas toujours passionnantes, les hobbies qui tournent autour du sport, du running, de la photo et des boissons. Des profils similaires avec le mec qui rentre d’expatriation, celui qui poste des photos de ses vacances à Bali », déplore-t-elle. Féministe militante et engagée, sur la plupart des applis, Amandine ne parvient que rarement à avoir envie de liker et ensuite à échanger avec ses interlocuteurs. Elle est néanmoins parvenue à trouver des applis qui lui correspondent mieux mais elle se confronte à un autre problème, de taille. « Pour être tout à fait honnête, j’ai souvent la flemme de faire des rencontres, de bloquer une date, de me déplacer, prendre le temps, dépenser de l’argent dans de l’alcool pour être prétendument détendue pendant la rencontre et parler de banalités ou de nos métiers ». Amandine ne cherche pas particulièrement à trouver l’amour mais quand elle souhaite faire des rencontres, elle opte, elle aussi pour « les vraies rencontres, en soirée par hasard, à l’ancienne », sourit-elle.
Les rencontres lors des sorties nocturnes, c'est aussi la philosophie de Cosme, 36 ans. Très sociable, dès qu’il met le nez dehors, il parle volontiers à tout le monde et se lie d’amitié très facilement. Après une rupture très compliquée, il y a deux ans, il est un peu échaudé par sa séparation et ne sort plus trop. Il décide alors de se mettre sur des apps de dating. Mais bien qu’il en essaye plusieurs, y compris des apps LGBTQIA+ friendly, rien n’y fait. « Faire ça à l’écrit par le biais du téléphone ou d’un ordi, je trouvais ça trop fake et superficiel et je n’arrivais vraiment pas à démarrer une conversation avec des inconnues ou des inconnus ». En parallèle de ce blocage, Cosme n’a pas beaucoup de photos qui le mettent en valeur, il ne rédige pas une bio très alléchante non plus et ne récolte donc pas beaucoup de likes. Ce manque de notoriété écorne sa confiance en lui alors il ferme son profil. Pour Cosme, les apps ont été un échec cuisant. « J’ai essayé hein mais je trouvais ça faux et je perdais beaucoup trop de temps à swipper », explique t-il.
Le couple a-t-il encore une valeur ?
Rien d’étonnant à ce que les points de vue d’Amandine, de Delphine et de Myriam résonnent davantage dans la société. Judith Duportail, journaliste et auteure de L’Amour sous algorithmes (2019), explique le phénomène par plusieurs raisons. Selon elle, la génération Z n’est pas consommatrice d’applis de rencontres. Outre la question générationnelle, elle avance l’argument sécuritaire : « après un vrai regain pendant les confinements, on constate une immense lassitude et un gros manque de sécurité sur les apps. Les plateformes laissent ouverts les profils de prédateurs sexuels comme le violeur de Tinder qui a pu sévir alors même que de nombreuses femmes l’avaient signalé et qu’il sortait de détention provisoire. » Comme sur les autres réseaux sociaux, Judith Duportail note également la question du comportement : entre incivilités et harcèlement. Mais « comme c’est de l’ordre de l’intime, personne n’en est témoin, les gens n’y croient pas forcément », explique-t-elle. Enfin, pour la journaliste, on assiste véritablement à une mutation de nos sociétés dans la mesure où le couple ne serait plus la valeur phare. « Les gens ne veulent plus se mettre en couple et au contraire, beaucoup se séparent. On constate cette tendance surtout depuis meetoo. Cela s’explique notamment parce que les femmes ont de plus en plus d’attentes dans le couple en matière d’investissement, de répartition des tâches, de charge mentale, émotionnelle etc. ce qui est légitime et que les hommes continuent, parfois même inconsciemment, à se comporter comme des petits rois à qui tout est dû et s’attendent donc à être servis par tous les membres de leur famille ». En bref, si les apps veulent à nouveau séduire les utilisateurs, il est nécessaire qu’elles prennent en compte la parole des femmes et commencent à les protéger vraiment », conclut Judith Duportail.