Internet facilite les rencontres amoureuses. Quand l’élu de votre cœur n’est pas ce qu’il prétend être, la romance peut conduire au fait divers. Derrière ces fausses identités se cachent des profils aux buts bien différents, baptisés “brouteurs”.
©Plainpicture
Temps de lecture : 7 minutes
Écouter l'article
Un arnacœur peut-il avoir le cœur brisé ? C’est le scénario idéal, porté sur grand écran par Pascal Chaumeil, avec Romain Duris dans le rôle du séducteur. Mais derrière le petit écran, la réalité est toute autre. Des hommes, jeunes, issus d’un milieu très populaire et basés en Afrique de l’Ouest vendent du rêve aux Occidentaux en mal d’amour. On les appelle les “brouteurs”. David, aka Méta-brouteur, s’est même lancé à leur poursuite depuis 10 ans :
Se cacher derrière un faux profil pour entamer une relation virtuelle avec une personne rencontrée en ligne, c’est du “catfishing”. Chez nos voisins anglo-saxons, le terme “catfish” (qui signifie littéralement “poisson-chat”) est entré dans le langage usuel, allant jusqu’à intégrer le dictionnaire Merriam Webster en 2013.
Tout comme le profil des victimes, les motivations des “arnacoeurs” peuvent être diverses : l’extorsion d’argent ou d’informations personnelles, la solitude ou l’ennui, le manque de confiance en soi ou la vengeance. Quoi qu’il en soit, ces relations, qui peuvent durer des années, ont des conséquences bien réelles sur la vie des victimes, que ce soit sur le plan sentimental ou financier. Et parfois, conduire au drame.
Pour mieux comprendre de quoi il retourne, on a discuté avec les principaux intéressés.
Kevin, faux profil mais vrai émoi amoureux
Commençons par l’histoire de Kevin, 27 ans, dont le catfish remonte à ses années de lycéen. À l’époque, le jeune homme est un sentimental assumé et recherche l’amour. Étant timide, il se tourne rapidement vers une application de discussion en ligne : KIK. Le principe ? Aucun numéro de téléphone, que des noms d’utilisateur et des filtres qui vous permettent de décider à qui parler. Un soir, en traînant sur le Chat, il fait la connaissance de Jérémy. À partir de ce moment, tout va très vite, “je passais des nuits blanches à parler avec lui.” Kevin tombe rapidement sous son charme et souhaite développer plus qu’une amitié, “je commençais à avoir des sentiments pour lui et il m’envoyait des signes qu’une relation était possible.” Au quotidien, Jeremy devient une sorte de refuge et un interlocuteur privilégié : “C’était une relation rassurante dans le sens ou c’était un peu un confident.”
Pourtant, Kevin doute de plus en plus de la véracité de ses histoires : “certaines choses m’ont mis la puce à l’oreille.” Comme son trio amical avec un certain John et une dénommée Caddie, avec qui il prétend passer tous ses week-ends (vous avez dit “Beverly Hills 90210”?). Une excuse qu’il évoque souvent pour justifier le fait qu’ils ne peuvent pas se voir… “Pour moi tout ça sonnait trop beau pour être vrai, on aurait dit un scénario de série américaine.” Ensuite, c’est leur manque d’échange plus “concret” qui commence à intriguer Kevin : “On ne s’est jamais appelé, on n’a jamais échangé de numéro de téléphone.” Enfin, les photos que lui envoie Jérémy lui paraissent bidon : “il m’envoyait toujours des photos en noir et blanc… très fake”.
Quand il commence à laisser entendre ses doutes à l’élu de son cœur, sa réaction est radicale : “Du jour au lendemain, il a tout coupé.” À la suite de quoi, Kevin a multiplié les recherches pour le retrouver, “sur Facebook, dans la liste d’élève de son école, sur d’autres réseaux”, mais elles se sont toutes avérées infructueuses, “comme s’il n’avait jamais existé en dehors du Chat…” Aujourd’hui, il en est convaincu, “il s’agissait bien d’un catfish, tous les signes étaient là.”
Même si cette histoire l’a profondément marquée, des années plus tard, il en garde un souvenir nostalgique : “Pour moi ça reste une belle histoire car c’est une de mes premières relations avec un homme.” En fait, Jérémy lui manque parfois. Comme le souligne une étude britannique publiée dans le journal de la British Company of Criminology (BCC), la plupart des victimes de catfish déplorent davantage la perte de la relation que leur perte financière (quand il y en a). L’étude révèle également que, comme Kevin, certaines victimes utilisent le déni comme mécanisme de défense, ce qui les rend vulnérables aux stratagèmes de manipulation.
Nev et la femme mariée qui s’ennuyait
Dans certains cas, les catfish peuvent provoquer des séquelles émotionnelles plus profondes à leurs victimes. En témoigne un célèbre cas, qui a donné lieu à une émission non moins célèbre aujourd’hui. En 2007, pour son projet d’étude audiovisuel, Ariel Schulman décide de filmer son frère Nev lors de sa rencontre avec Megan, une fille avec qui il échange depuis plusieurs mois sur Facebook et dont il est tombé éperdument amoureux. Il découvrira finalement, lors d’une visite surprise dans sa ville natale, que sa prétendante est en fait une femme mariée, mère de deux enfants, qui s’inventait une autre vie par ennui.
Si Nev finit le cœur brisé par cette histoire, elle donnera lieu au documentaire Catfish, primé au festival de Sundance. Le succès est immédiat et des milliers de personnes se reconnaissent dans son récit. Si bien que MTV contactera les frères Schulman pour en faire une émission. En 2012 naît “Catfish : fausses identités”. Le pitch ? Nev et son ami réalisateur Max mènent l’enquête et répondent aux appels à l’aide de personnes qui ont des doutes sur une relation en ligne.
L’émission en est aujourd’hui à sa 8e saison et a été adaptée dans de nombreux pays : comme l’Angleterre, le Brésil, la Colombie, la Finlande, la Hongrie, l’Italie, la Russie, le Québec…ou encore la France.
Cécile et le piège de l’homme infidèle
Les catfishs sont un peu à l’amour en ligne ce que les tics sont aux animaux : de discrets parasites qui peuvent s’avérer terriblement nuisibles s’ils ne sont pas identifiés à temps. Si les dommages affectifs sont terribles, les pertes financières peuvent être dévastatrices. Selon l’étude réalisée par Norton, 55 % des Français victimes d’une arnaque sentimentale ont subi une perte financière d’environ 139 euros en moyenne. En février 2021, un rapport de la Federal Trade Commission (FTC) avançait que sur l’année 2020, plus de 304 millions de dollars avaient été escroqués au nom de faux amours dans le monde. D’ailleurs, dans le documentaire de Netflix, « L’arnaqueur de Tinder », trois femmes racontent comment un homme se faisant passer pour un milliardaire leur a extorqué des millions de dollars.
Mais tous les arnacoeurs n’embrassent pas de sombres desseins. Quand Cécile nous raconte son catfish, elle commence par nous prévenir que c’est elle l’arnaqueuse. Tout commence par un coup de cœur de collégien. Une de ses amies tombe amoureuse d’un garçon. Ils se parlent souvent et l’affaire semble réciproque. Mais rapidement des rumeurs de tromperies émergent : il aurait des vues sur une autre fille. “Du coup on a voulu tester ce gars en créant un faux profil sur Facebook”, nous explique Cécile.
La manœuvre est terriblement simple, “c’était à l’époque des comptes Facebook type ‘les beaux-gosses mécheux/mécheuses’, donc on a été sur une de ces pages, on a récupéré la photo d’une jolie fille au hasard et on a créé un faux compte avec son visage”, relate-t-elle. Une fois l’appât en place, il ne reste plus qu’à provoquer la rencontre : “on a envoyé une demande d’ami au mec et on a commencé à discuter avec lui”. Durant leurs échanges, elle le complimente beaucoup, lui pose des questions intimes, s’intéresse au déroulement de ses journées. Est-ce qu’il mord à l’hameçon ? Tout à fait, “il est réceptif à la drague”, et ce petit jeu durera tout de même plusieurs semaines. Pourtant, il montre quelques signes de résistance, comme le fait qu’il refuse d’envoyer des photos de lui. “Je crois qu’il se doutait que c’était un faux compte”, plaisante Cécile avant d’enchérir, “en même temps, c’était si évident, ça puait le catfish à 10 km”. Pourquoi ? “Un compte venu de nulle part qui te met direct sur un piédestale…c’est chelou.”
Est-ce qu’elle a des regrets ? “Pas du tout, c’était pour la bonne cause et puis ça n’a fait de mal à personne.” Tout de même, elle ne se voit pas retenter l’expérience. Se faire passer pour quelqu’un d’autre passe encore, mais usurper l’identité d’inconnu dépasse son propre code moral …“on a pris des photos de parfaits inconnus et on s’est retrouvé à les mettre sur ce faux compte Facebook… c’était vraiment n’importe quoi.”
5 signes que vous discutez peut-être avec un faux profil
Méfiez-vous des apparences, disait “la voix” dans Secret Story. Ce commandement est particulièrement adapté aux rencontres amoureuses sur Internet.
On vous donne quelques astuces qui peuvent vous aider à repérer le loup caché dans la bergerie :
- Des photos suspectes : soyez attentif à la cohérence des photos. Vous semblent-elles trop belles pour être vraies ? Sont-elles toujours de loin ou en clair-obscur ? Les escrocs utilisent souvent des photos volées sur le Net ou des photos issues de banques d’image pour cacher leur véritable identité.
- Il vous donne des informations incohérentes : son métier ? Banquier d’affaires le lundi, astronaute le mardi et musicien les week-ends. Votre gusse est un peu comme Martin Matin, il change de métier en se levant. Bon, c’était déjà un peu limite niveau crédibilité mais alors quand il a commencé à se tromper d’adresse postale… plus de place pour les doutes.
- Il semble sorti de nulle part : comme dans le cas de Kevin, l’élu de votre cœur semble n’avoir aucune autre identité numérique que le profil à travers lequel il s’adresse à vous ? Ce n’est peut-être pas une fausse identité mais restez prudent tout de même.
- Il ne veut pas se montrer : un jour il a trop de travail, un autre il est en voyage. Il n’a ni le temps pour un appel, ni pour un Skype ? Trop c’est trop, votre Gus joue les fantômes et c’est louche… très louche.
- Il vous demande de l’argent : cela fait des semaines que vous discutez avec bidule et pour une raison ou pour une autre il a besoin d’argent de toute urgence. Que faites-vous ? Vous ne lui versez pas un centime bien sûr ! L’arnaque sentimentale étant basée sur le lien d’affection que l’arnaqueur noue avec sa victime, de sorte que si celui-ci vous demande de l’argent, il se peut que vous soyez plus enclin à le lui octroyer.
👉Si vous pensez être victime d’une arnaque au sentiment, vous pouvez déposer plainte sur THESEE. Chaque signalement ou plainte est traité par un cyber-enquêteur et intégrée à un outil d’analyse. Elles sont ensuite recoupées automatiquement simplifiant l’enquête.