Pour la semaine de la presse et des médias à l’école, on s’est penché sur le rapport des adolescents à l’information. Sans surprise, les réseaux sociaux restent leurs médias favoris.
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L’information sur tous les fronts ! C’était le thème choisi par le Clemi (Centre de Liaison de l’Enseignement et des Médias d’Information) pour la 34e édition de la semaine de la presse et des médias à l’école. 7 jours consacrés à l’éducation aux médias, qui nous permettent de faire de la prévention mais aussi d’avoir un peu plus de recul sur la consommation médiatique des plus jeunes et leurs attentes.
Et des attentes ils en ont pas mal ! Selon la dernière enquête sur le rapport des jeunes à l’information de l’institut Ipsos, les jeunes sont friands de formats alliant rapidité et clarté. Pas étonnant que la vidéo soit le médium d’information qu’ils préfèrent. Moins étonnant encore que 94 % des 16-30 ans utilisent au moins un réseau social ou un média en ligne pour s’informer sur l’actualité.
Une préférence pour les sujets sociétaux
Et si vous croyez que la Gen Z ne pense qu’à sa prochaine paire de sneakers, vous avez tout faux ! Ceux qui sont nés entre 1996 et 2015 entrent dans l’âge adulte en ayant connu une pandémie, une récession et un temps à faire des barbeuc’ en Alaska. Alors oui, ils s’intéressent à l’actualité. D’après le rapport de l’Ipsos, ils sont 84 % à s’y intéresser de façon plus ou moins poussée. Quant à leurs sujets de prédilection, il s’agit des sujets sociétaux pour 78 % d’entre eux. “Ce sont des sujets qui me touchent directement… Parfois ça me révolte même”, nous confie Jade, 18 ans, à la sortie des cours.
Et ils n’hésitent d’ailleurs pas à le partager sur TikTok, Snapchat ou Instagram, leurs premiers lieux de revendication. En témoignent les milliers de vidéos publiées par les jeunes manifestants concernant la réforme des retraites. D’ailleurs, Polska, une influenceuse de 19 ans défraie actuellement la chronique pour avoir participé à une manifestation sous le slogan “les formes contre la réforme”. Politisé et avec le sens de l’humour s’il vous plaît. Durant l’été 2020, c’est cette même jeunesse qui s’était largement mobilisée sur les réseaux en affichant une flopée de carrées noire en guise de soutient à George Floyd, cet Afro-Américain asphyxié par un policier blanc aux États-Unis pendant son arrestation. Un événement qui a secoué le monde entier, et révélé que les jeunes ont une conscience politique forte.
Des pavés… au hashtag
Alors que leurs grands-parents balançaient des pavés en cherchant la plage, que leurs aînés sont descendus dans la rue contre les CPE, pour Charlie et contre les « porcs », les jeunes eux, s’arment de leur clavier et affichent leurs revendications sur les réseaux, comme un premier moyen d’appartenir à une mouvance. Le slogan « Black Lives Matter », véritable phénomène de société, est d’ailleurs né d’un post Facebook.
Retour en juillet 2013. Le jeune afro-américain, Trayvon Martin, 17 ans, désarmé, est abattu. L’acquittement de George Zimmerman, le meurtrier du jeune homme déclenche la colère d’Alicia Garza, activiste pour les droits homosexuels. Sous le coup de l’émotion, elle publie un post Facebook : « Black People. I love you. I love us. Our lives matter » (« Personnes noires. Je vous aime. Je nous aime. Nos vies comptent »). L’artiste et activiste Patrisse Khan-Cullors lui répond alors : « Black Lives Matter ».
Depuis la mort de George Floyd le 25 mai 2020 à Minneapolis, le mouvement Black Lives Matter s’est répandu comme une traînée de poudre sur les autres continents, via les réseaux. Pour autant, s’il est né sur les réseaux, le mouvement ne s’y est pas cantonné. Il a connu un immense écho en France. Sur TikTok, le réseau social préféré des moins de 13 ans (puisque 45,7% l’utilisent selon l’agence Heaven), les vidéos portant le hashtag #BlackLivesMatters comptabilise 35 milliards de vues.
#BLM n’est pas le seul sujet de société à avoir suscité l’attention des jeunes. #ImComingOut rassemble les personnes qui révèlent leur homosexualité avec un total de plus de 2 milliards de vues.
TikTok, Insta, Snap, le nouveau 20h
À 15 ans, Camille, élève de 3ème en Seine-Saint-Denis, s’informe surtout via Snapchat et uniquement grâce aux stories et aux posts des personnes auxquelles elle est abonnée. Les réseaux sociaux lui permettent, dit-elle, d’avoir une plus grande vision plus large sur l’actualité. « Sur Instagram, il y a du positif comme du négatif tandis que sur les grandes chaînes, on ne montre pas tout » explique la collégienne en région parisienne. La négativité présente dans les médias traditionnels, c’est justement ce qui pousse 36% des 16-30 ans à se désintéresser de l’actualité, selon le rapport de l’Ipsos.
Ce shift dans la manière de s’informer et de s’engager n’est pas passé inaperçu aux yeux des médias traditionnels. Après avoir investi Facebook, Snapchat ou Instagram, Le Monde, Arte ou France TV Slash réalisent aujourd’hui de petites vidéos pédagos sur TikTok. Et ça marche. Le Monde comptabilise aujourd’hui plus de 787 000 abonnés sur la plateforme.
Et les médias traditionnels ne sont pas les seuls à s’y mettre. Le jeune Hugo Décrypte distille tous les jours les 5 infos à retenir de l’actu sur Insta et ouvre le débat quotidiennement sur une question d’actualité. Preuve que les jeunes adhèrent, le concept fédère plus de 4 millions de personnes sur TikTok. Hugo a même décliné le concept en version « Pop » pour la culture (plus de 569 000 abonnés) et pour le sport (plus de 289 000 abonnés) sur Insta. Preuve que si les jeunes boudent les médias classiques, comme Camille, ils aiment être informés et exprimer leurs opinions.
« Il faut que ça se sache »
Ce combo info/réaction semble d’ailleurs être le moteur de l’expression politique des jeunes. Et le partage de contenus atteste d’une nouvelle forme de mobilisation. C’est d’ailleurs l’avis d’Inès, élève de seconde dans un lycée du sud de Paris, « partager ce genre de contenus est presque un geste politique », qui compense son absence aux manifestations. Même si l’interdiction de ses parents n’est pas un frein, la jeune fille ne se sent pas prête à se rassembler et trouve dans les réseaux sociaux une façon de participer à son échelle.
Ces médias basés sur le flux et la réactivité font surgir « un sentiment de malaise face à des images sans filtre » qui touche les jeunes utilisateurs. « Ils éprouvent le besoin de les rediffuser [en disant], « il faut que ça se sache », « on ne peut pas le cacher » », explique Anne Cordier, Maîtresse de Conférence HDR en Sciences de l’Information et de la communication à l’Université de Rouen. Et ce relais massif de vidéos, au départ porté par une forte émotion, fait naître une forme de “conscience collective” chez les jeunes.