Comment rendre plus vertueux les services numériques qui nous entourent pour profiter plus sereinement d’Internet. Interview avec Karl Pineau, cofondateur du collectif Les Designers Ethiques.
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Le numérique a cannibalisé nos journées (et parfois nos nuits) ! Les interfaces toujours plus fluides et léchées nous collent à nos écrans, connectés à perpétuité, poussés à acheter, à regarder des publicités, à « liker » des contenus, à répondre à des notifications continues… Les 58 millions d’internautes français passent en moyenne 6h50 sur Internet et les réseaux sociaux contre 3h19 devant la télé d’après l’étude publiée par Hootsuite et We Are Social sur l’usage du web et des réseaux sociaux en France en 2020. Le collectif les Designers Ethiques veut lutter contre ces dérives insidieuses du numérique… et nous libérer du temps de cerveau ! Karl Pineau, cofondateur du collectif nous explique tout.
Comment définissez-vous le design éthique ?
Vaste question ! L’idée est de réfléchir à une conception de services numériques comme des applis ou des sites, qui soit plus responsable et respectueuse. Cela englobe la captologie, qu’on appelle aussi le design persuasif, où les choix des actions de l’utilisateur ne sont pas forcés par le site. Mais pas seulement, le design éthique comprend aussi la protection des données personnelles, l’éco-conception, l’accessibilité, voire les droits des travailleurs du numérique et les modèles économiques vertueux.
N’est-ce pas la rentabilité qui pousse à ne pas se soucier d’éthique ?
On pourrait le croire, et pourtant quand on fait les calculs, ce n’est pas si clair. Par exemple, ne pas analyser les cookies de vos visites, pour ne pas proposer de pubs ciblées comme le fait Qwant cela fait baisser que légèrement votre chiffre d’affaires. Être vertueux n’est pas ruineux !
A quels signes faut-il être attentif quand on surfe ?
Tout d’abord, il faut savoir qu’il n’y a rien de gratuit. Mais on s’est habitué sur Internet à ce modèle de fausse gratuité. J’avais fait le calcul pour notre association si on devait payer pour tous les services en lignes offerts (emails, hébergement de vidéos, sites…) ça nous couterait 5000 € par an ! Donc il faut être conscient que, ce prix-là, on le paye d’une manière ou d’une autre par la publicité ou ses données personnelles… Mais il existe des plug-ins pour limiter cela !
Ne peut-on pas détourner la captation d’attention pour une bonne cause ?
Si on se focalise sur le design persuasif qui n’est qu’une partie du design éthique, on peut en effet se poser la question, presque philosophique et morale : peut-on manipuler pour le bien commun ? Nous avions organisé un débat lors de nos conférences Ethics By Design sur ce thème et c’était très partagé ! D’un côté, il y a ceux qui veulent détourner les mécanismes de l’attention pour une bonne cause. Cela s’appelle le nudge (ou « coup de pouce » en français). De l’autre, ceux qui considèrent que les libertés individuelles ne sont pas négociables.
Y-a-t-il des codes de bonnes pratiques chez les designers ?
Il en existe même des dizaines ! Mais problème : ils ne sont jamais appliqués. La profession du design n’est pas contrôlée comme les avocats ou les médecins et tout ça relève de la responsabilité individuelle. Nous nous battons pour qu’il y ait un contrôle social de ces pratiques et que des sites, bourrés de captations de l’attention et de récoltes de données ne puissent plus exister.
Vous voulez donc une instance de contrôle, mais qui contrôlerait quel domaine de l’éthique ?
Effectivement, il manque une mesure. La CNIL, depuis 1978, défend la liberté des internautes en surveillant le respect des données personnelles. Mais certaines présentations de bouton ne demandent pas de données personnelles et pourtant trompent l’utilisateur. Pour Tristan Harris, l’auteur du documentaire Netflix Derrière vos écrans de fumée, il faut mesurer le temps passé sur les écrans. Mais pour les sites d’e-commerce, par exemple, ça ne marche pas. Ils veulent vous vendre vite quelque chose, pas que vous vous perdiez dans leur site. Il va donc falloir trouver un moyen de mesurer la privation de liberté induite par les interfaces. C’est un travail encore malheureusement très prospectif…
Pour un web plus éthique
En attendant que des décisions se prennent, voilà notre sélection d’outils qui va vous permettre, dès maintenant, de rendre plus éthique votre navigation sur internet.
Ce plug-in pour le navigateur Firefox retire tout ce qui n’est pas essentiel dans un site web. Par exemple, sur Youtube, il enlève la lecture automatique de la vidéo suivante, la liste des suggestions, les commentaires. Quel plaisir de surfer à l’essentiel.
En rentrant l’adresse d’un site, Ecoindex l’analyse et lui donne un score d’éco-conception sous forme de lettre. S’il décroche un A ou un B c’est un bon site simple, léger et rapide, qui ne consomme pas trop de bande passante et donc d’énergie.
Ce plug-in va vous changer le surf ! En bloquant toutes les pubs et les divers mouchards présents sur une page, il protège efficacement votre vie privée et accélère considérablement le surf. Magique !
Les publicités sur mobile rendent infernale la navigation. Pour éviter cela, essayez le navigateur DuckDuckGo (pour iOs et Android) qui, outre le blocage des pubs, utilise par défaut le moteur de recherche éponyme qui respecte vos données personnelles.