Jeux vidéo : un moyen de sensibiliser au droit humanitaire

Au-delà du divertissement, les jeux vidéo peuvent aussi nous permettre de penser le monde qui nous entoure. Avec “Play by the rules”, la Croix Rouge souhaite sensibiliser les joueurs aux règles humanitaires sur le champ de bataille. Décryptage.

Publié le : 17-05-2023

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Près de 80 % des Français connectés, âgés de 16 à 64 ans, jouent aux jeux vidéo, selon le Digital Report 2023, publié par Hootsuite et We Are Social. Que vous soyez un adepte de jeux sur téléphone, comme Candy crush, ou des jeux en ligne, comme Call Of Duty, il y a fort à parier que vous avez déjà eu une expérience de gaming. Mais le divertissement préféré des Français, souffre toujours d’une réputation ambivalente. D’aucuns l’accusent d’être abrutissant, quand d’autres lui prêtent carrément le pouvoir de rendre les individus violents.

Pourtant, les jeux vidéo peuvent être un moyen d’apprentissage et une façon ludique d’appréhender le monde qui nous entoure. Partant de ce postulat, la dernière campagne du Comité International de la Croix Rouge (CICR), “Play by the rules”, met au défi les amateurs de jeu de guerre, de jouer selon les règles en vigueur sur les vrais champs de bataille. Le but, sensibiliser le public aux crimes de guerre. Mais est-ce vraiment efficace ? 

“Play by the rules” : la campagne de sensibilisation par le jeu vidéo

Jour après jour, sur Internet ou dans les médias, nous sommes confrontés à des images violentes de conflits armés à travers le monde. L’initiative de la Croix Rouge s’inscrit dans une volonté de rappeler les règles du Droit International Humanitaire (DIH). Il a pour but de préserver un peu d’humanité dans les conflits armés, en sauvant des vies et en atténuant les souffrances.

À travers sa nouvelle campagne “Play by the rules”, l’association d’aide humanitaire invite les joueurs de FPS (First Person Shooter ou jeu de tir à la première personne, en français), à suivre 4 règles basées sur la véritable réglementation du droit international en vigueur sur les champs de bataille. Et une chose est sûre, on ne les connaissait pas toutes…

👉 Pas d’acharnement : quand un ennemi est à terre et ne peut pas répondre, vous ne pouvez pas continuer à lui tirer dessus. En zone de guerre, les prisonniers doivent être protégés des violences, intimidations ou traitements inhumains.

👉 Ne visez pas les PNJ (personnage non jouable) qui ne sont pas violents : dans le monde du jeu vidéo, les PNJ désignent des personnages contrôlés par l’ordinateur plutôt que par un autre joueur. Partant du principe que tous ceux qui ne vous attaquent pas sont des civils, vous ne pouvez pas les tenir en joue, ou les attaquer. En zone de guerre, les civils ne peuvent pas être attaqués et doivent être protégés.

👉 Ne visez pas les bâtiments civils : Les maisons, écoles ou encore les hôpitaux sont considérés comme des zones sécurisées que vous ne pouvez pas attaquer. Quand vous vous battez dans ces lieux, vous devez tout faire pour y faire le moins de dégâts possible. En zone de guerre, les infrastructures civiles sont des zones protégées.

👉 Utilisez vos kits médicaux sur tout le monde : Si vous avez un équipement médical inutilisé et qui fonctionne sur les autres, vous devez le donner à ceux qui en ont besoin, qu’ils soient amis ou ennemis. En zone de guerre, les malades et les blessés doivent être soignés des deux côtés.

Pour l’occasion, la Croix Rouge a créé une chaîne Twitch sur laquelle les rediffusions des sessions de jeu en ligne sont accessibles. Une façon de motiver les joueurs, qui peuvent ainsi voir comment sont appliquées les règles de la guerre sur leurs jeux préférés (Fortnite, Call of Duty ou encore Rainbow Six Siege). Mais sensibiliser des gamers aux règles humanitaires via des jeux de guerre, n’est-ce pas un peu comme demander à un aveugle de voir les couleurs ? Pas si sûr.

Les jeux vidéo : un moyen d’appréhender le monde ?

Avec un chiffre d’affaires de 5,5 milliards d’euros en 2022, le jeu vidéo se positionne comme la première industrie créative et culturelle en France, devant le cinéma ou la musique. Parmi eux, les FPS font partie des jeux les plus vendus dans le monde (dominé par la franchise Call of Duty). La majorité des FPS sont des jeux de combat dans lesquels le joueur utilise des armes à feu. Dans ce type de jeu, l’action est filmée du point de vue du personnage que l’on incarne. Celui-ci n’apparaissant que très rarement à l’écran, l’immersion du joueur dans l’univers virtuel est totale. Tant et si bien que pour la Croix Rouge, “La façon dont vous jouez aux FPS fait une différence sur le champ de bataille dans la vraie vie.”

La logique selon laquelle, ce qui se passe dans notre vie virtuelle a une incidence dans notre vie réelle, n’est pas nouveau. Certains professionnels des usages du net, comme Axelle Desaint, Directrice du pôle éducation au numérique et d’Internet Sans Crainte, affirment même qu’à l’heure des réseaux sociaux, de la digitalisation des services et du métavers, cette distinction entre “vie virtuelle” et “vraie vie” n’a plus lieu d’être.

D’ailleurs, en tant que média de masse, le jeu vidéo et ses codes sont régulièrement utilisés pour faire passer des idées.  “C’est efficace car ça fait passer le message à deux niveaux : pour les joueurs qui se prêtent aux jeux et pour tous ceux qui vont en entendre parler.”, nous explique Yann Leroux, psychanalyste et expert des questions relatives au gaming. D’ailleurs, les joueurs ont deux façons d’appréhender le jeu. Si les adolescents jouent pour s’amuser, les adultes eux sont dans une tout autre perspective : “Ils jouent aussi pour le fun mais les expériences qu’ils ont dans le jeu leur permettent de réfléchir à la situation du monde.”

Les jeux vidéo rendent-ils violents ?

Depuis la tuerie de Colombine aux États-Unis en 1999, les jeux vidéo sont régulièrement accusés d’incitation à la violence (les deux tueurs étant adeptes de Doom et Wolfenstein, deux FPS). Mais attention aux raccourcis faciles. Yann Leroux nous explique que selon la science le lien de causalité entre le jeu vidéo et les comportements violents des joueurs est un mythe qui n’est pas avéré. “Ça peut vous énerver, ça peut vous donner envie de pousser votre cousin qui joue contre vous, mais en aucun cas ça ne vous donne envie de prendre un AR15 et de massacrer des gens dans la rue”, nous explique-t-il. En fait, tout dépend du profil du joueur et de son environnement.

"Le job des parents c'est de construire le cadre dans lequel ces émotions vont pouvoir être contenues et adaptées"
Yann Leroux, docteur en psychologie, psychanalyste et gamer

Alors si votre bambin est un peu trop excité quand il joue à Call Of Duty, pas de panique. “D’une façon générale c’est normal qu’un jeu soit excitant”, tempère Yann Leroux. “Le job des parents c’est de construire le cadre dans lequel ces émotions vont pouvoir être contenues et adaptées”, relate l’expert. Pour cela, la clef reste de s’intéresser aux jeux de votre enfant. Voire, jouer avec lui, pour les plus téméraires : “il est toujours mieux de faire avec son enfant, car les enfants apprennent par imitation.” Vous êtes mauvais joueur ? Ce n’est pas un problème. “Ce qui peut être efficace c’est de jouer avec son enfant et dans le jeu d’exprimer les comportements idéaux qu’on voudrait avoir, surtout quand on perd”, conclut l’expert. Vous pouvez même proposer à votre enfant d’autres jeux en consultant notre petit guide des jeux vidéos à partager avec vos enfants. Alors à vos manettes !

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