Duolingo, un jeu dangereux ? 

Avec les applications, apprendre est un jeu d’enfant. Mais l’expérience peut parfois tourner au vinaigre… Est-ce que ça vaut le coup ?

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Qu’est-il arrivé à la mascotte de Duolingo ? “Quand tu retardes ton cours de 5 minutes… ça fait 84 ans”, peut-on lire sur le compte X de l’application d’apprentissage de langues numéro un dans le monde. Duo, la petite chouette verte aux grands yeux affole la Toile avec ses rides, son visage affaissé et son regard de chien battu. 

Si l’oiseau-coach a pris un sacré coup de pelle (l’application existe depuis 2011, certes), ce n’est pas parce qu'il s’est cassé le bec sur sa déclaration de revenus. Non, vous l’avez ignoré, délaissé, abandonné. Comme un vulgaire Tamagotchi que l’on retrouve dans un piteux état — s’il est encore vivant — en fin de journée. Car ce n’est pas la première fois que Duo cherche à attirer notre attention. Lorsqu’il n’est plus sollicité, l’adorable petit oiseau, symbole de sagesse, peut vite se transformer en teigne. Il s’énerve, pleure ou se déguise tout simplement en Mona Lisa, dans l’espoir d’inciter les utilisateurs à s’entraîner. L’an dernier, Duolingo avait carrément fait fondre sa chouette, comme pour lancer un appel à l’aide :

Que révèlent toutes ces mises en scène ? L’application gratuite est régulièrement raillée pour ses notifications trop insistantes, conçues pour motiver ses utilisateurs à prendre leurs leçons… au point de leur pourrir la vie.

Gamification de l'apprentissage

Traumatisée par le professeur ailé, “manipulateur d’émotions”, Sophie Lacoche explique pourquoi elle a arrêté sa “relation toxique avec Duolingo” dans un article publié sur le site de Radio France : “À en juger par l’abondance d’articles du type ‘Duolingo m’a transformé en monstre’ (...), je réalise ne pas être la seule à avoir développé un usage plus compétitif que studieux de l’application.” L’auteure dénonce les limites de la “gamification” (ou ludification en bon français) de l’apprentissage. Développé à la fin des années 2000 par Jessie Schell, concepteur de jeux, écrivain et professeur à l’université en Pennsylvanie, le concept consiste à appliquer des mécanismes de jeux à un processus, une application, une situation a priori ennuyeuse, afin d’atteindre des objectifs spécifiques. Ce que les gens aiment ou détestent avec Duolingo, pour résumer.

Points, classements, récompenses… L’application est pensée comme un véritable jeu vidéo. Son créateur, Luis von Ahn, ne s’en cache pas : “C'est un élément essentiel pour motiver les apprenants à continuer à pratiquer les langues qu'ils étudient”, explique-t-il dans Les Échos. L’élève plonge alors dans un univers cartoonesque peuplé de charmants petits personnages et de messages encourageants. L’étude de la langue se transforme en course jalonnée de défis qui se terminent en fanfare à chaque niveau validé. 

Tenir ses engagements

Un des gros enjeux de l’application est de conserver sa série (ou ‘streak’), qui correspond au nombre de jours consécutifs d’apprentissage. Manquer sa leçon quotidienne, c’est prendre le risque de perdre ses points d’expérience ou sa position dans le classement, mais c’est aussi une source de stress pour pas mal de gens, relate Sophie Lacoche. Comme des marathoniens, les utilisateurs de l’application enchaînent les entraînements, stressent à l’idée d’être moins performants, brandissent leurs records. Leur discipline ? Les langues étrangères.

Je consacre davantage de temps à l’application, parfois en suivant jusqu’à des dizaines de leçons par jour, dans le but d’atteindre la première place de ma ligue en accumulant des points d’expérience supplémentaires 🤓, raconte Jordan Vidal sur Medium. À l’inverse de Sophie Lacoche, ce chef de produit dans une start-up n’a pas été dérangé par cette mécanique d’addiction, bien au contraire : Je recommande à chacun de tenter l’expérience. Duolingo est devenu une routine qui m’a permis de drastiquement réduire mon temps sur les réseaux sociaux au profit d’une expérience où j’apprends une nouvelle langue, écrit-il. 

Quel résultat ?

Après le marathon, pas de médaille mais un niveau compris entre B1 et B2 (utilisateur avancé) du Cadre européen de référence pour les langues, selon Luis von Ahn, co-fondateur de l’application. “Votre accent ne sera pas parfait, dit-il. Et à l’oral, vous ferez de nombreuses simplifications. Vous vous planterez sûrement dans les subjonctifs. Mais vous vous débrouillerez. Vous comprendrez très bien ce que vous entendrez. Vous serez capable de lire des livres et de regarder des films en VO”, précise-t-il. “Pour les apprenants occasionnels, l'application seule peut suffire tandis que pour ceux déterminés à maîtriser une langue, nous recommandons des ressources extérieures à Duolingo, concède-t-il dans Les Échos.

Pour Pascal Marquet, professeur à l’université de Strasbourg, cette gamification de l’apprentissage fait ses preuves, et sans surprise : “Les mécanismes ludiques existent depuis longtemps dans l’apprentissage. Un enseignant, même s’il le fait de manière automatique, va scénariser son cours, il va raconter une histoire avec des personnages et des situations. Il y a une quête, explique-t-il dans Rue89. Et si vous êtes en formation continue, c’est bonus ! Selon lui, la gamification fonctionne mieux dans la formation des adultes que dans l’apprentissage initial : “Les meilleurs résultats sont obtenus dans les simulations, lorsqu’on place l’apprenant dans une situation virtuelle qui ressemblera à son futur métier. Il n’est donc pas trop tard pour vous mettre au piano ou rattraper vos lacunes en maths, puisque Duolingo a récemment sorti deux versions, pour les mathématiques et la musique.

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