Influenceurs : fini l’âge d’or des arnaques ?

L’Assemblée nationale vient d’adopter une proposition de loi visant à lutter contre “les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux”. On vous explique ce que ça implique.

Publié le : 07-04-2023

©Plainpicture

Temps de lecture : 5 minutes

Écouter l'article

0:00

C’est une première en France. Jeudi 30 mars, l’Assemblée nationale a voté, en première lecture et à l’unanimité, une proposition de loi visant à réguler l’activité commerciale des influenceurs. Ce texte transpartisan est le fruit de 4 mois de concertation et de travaux impliquant toutes les parties prenantes : Bercy, des agences d’influenceurs, les géants de la tech (Youtube, Meta, TikTok, Snapchat), la Répression des Fraudes, l’Autorité des Marchés Financiers (AMF), l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité (ARPP) et pas moins de 20 000 citoyens.

Alors qu’il doit encore être examiné par le Sénat et avant même qu’il soit voté par l’Assemblée, le texte a suscité beaucoup d’émules.

Dans une tribune du JDD, lancée à l’initiative de l’Union des Métiers de l’Influence et des Créateurs de Contenu (UMICC), des influenceurs dénoncent les dérives « d’une minorité qui se croit toute permise » et demandent aux députés de « comprendre, protéger et faire grandir » leur modèle économique. Elle a récolté les signatures de 150 personnalités des réseaux sociaux (dont des stars comme Squeezie, Cyprien ou Seb la Frite) avant que certains ne se rétractent. Mais pourquoi tant d’émois et que contient ce texte au juste ? Petit tour d’horizon.

Influenceurs : les raisons de la colère

Avant d’entrer dans le vif du sujet, peut-être devrait-on rappeler ce qu’est un influenceur. D’après le Larousse, les influenceurs sont des personnes « capables, en raison de leur popularité ou de leur expertise dans un domaine donné, d’influencer les pratiques de consommation des internautes par les idées qu’elles diffusent sur un blog ou tout autre support interactif (forum, réseau social…) ».

En France, selon le ministère de l’Économie, 150 000 citoyens sont considérés comme influenceurs. Une infime partie de la population, qui représente une aubaine pour les marques, qui les sollicitent régulièrement pour mettre en avant des produits ou des services, dans le cadre de partenariats.

Oui mais voilà, tous les influenceurs n’exercent pas leur activité avec le même code déontologique et plusieurs dérives ont donné lieu au quolibet “influvoleur”. Un terme créé par le rappeur Booba pour désigner une personne qui utilise sa notoriété sur les réseaux sociaux pour vendre à son audience des produits parfois dangereux ou qui l’arnaque avec de faux bons plans financiers.

Protéger les consommateurs contre les placements de produits frauduleux

En 2021, les services de la Répression des Fraudes ont surveillé pas moins d’une soixantaine d’agences et d’influenceurs faisant la promotion de paris en ligne, services de trading, cosmétiques, compléments alimentaires et programmes “minceur”. Conclusion de l’enquête ? 60 % d’entre eux ne respectaient pas la réglementation sur la publicité et les droits des consommateurs.

Ces derniers mois, plusieurs scandales autour de placement de produits et de services frauduleux ont été mis en lumière. Des affaires qui passent désormais devant la justice.

En juillet, l’ancienne star de téléréalité Nabilla Benattia-Vergara a dû payer une amende de 20 000 euros pour “pratiques commerciales trompeuses” (après avoir été épinglée par la DGCCRF). Son tort ? Avoir fait la promotion de services boursiers sur Snapchat, sans mentionner à son audience qu’elle était rémunérée pour cela.

Plus récemment, en janvier, deux plaintes collectives (réunissant 88 plaintes conjointes), avaient été déposées auprès de la procureuse de Paris, à l’initiative du collectif Aide aux Victimes d’Influenceurs (AVI), pour “escroquerie en bande organisée” et “abus de confiance”. Les victimes estiment avoir perdu des centaines, voire des milliers d’euros dans des produits financiers vantés par des influenceurs, dont Marc et Nadé Blata.

Les pouvoirs publics ont donc décidé d’agir afin de protéger les consommateurs.

Que contient la loi ?

Jusqu’ici le secteur du “marketing d’influence” souffrait d’un flou juridique. En effet, pour beaucoup, l’activité d’influenceur était considérée comme un travail de seconde zone (voir pas du tout considéré comme un travail).

Voici quelques-unes des mesures proposées pour remettre l’église au milieu du village :

👉Une définition juridique du statut d’influenceur : jusqu’à présent il existait un flou juridique autour du marketing d’influence. Le texte propose de responsabiliser les influenceurs vis-à-vis des contenus qu’ils postent, grâce à la mise en place d’un arsenal législatif (entre autres, l’obligation de passer par un contrat écrit pour les marques, les agences et les influenceurs).

👉 Création d’une brigade de l’influence : Le texte de loi prévoit la création d’une brigade de l’influence commerciale au sein de la Répression des Fraudes, avec une équipe dédiée de 15 agents. De plus, les influenceurs signalés seront soumis à de nouvelles sanctions, pouvant aller jusqu’à une interdiction d’exercice de leur activité d’influence.

👉Le même encadrement publicitaire que pour les médias : dans le monde des médias traditionnels (radio, télévision, presse écrite), la publicité répond à certaines règles. Le texte propose qu’il en soit de même pour le marketing d’influence. Désormais, la promotion de certains produits (alcool, tabac, produits transformés, produits financiers…) et services (jeux d’argent, actes médicaux…) sera encadrée et des mentions légales devront obligatoirement apparaître.

👉Interdiction de la promotion des cryptomonnaies et de la chirurgie : pour le volet cryptomonnaie, seuls les acteurs titulaires de l’agrément PSAN (prestataires de services sur actifs numériques), délivré par l’Autorité des marchés financiers (AMF) pourront avoir recours aux influenceurs pour faire leurs promotions. Et c’est pas gagné ! À ce jour, même si plusieurs dossiers ont été déposés, aucun de ces agréments n’a été délivré dans l’Hexagone. Quant à la chirurgie esthétique, sa promotion sera tout bonnement interdite à travers l’influence commerciale.

👉Obligation de mentionner le recours aux filtres : “afin d’éviter des effets psychologiques destructeurs” sur l’audience (dont la fameuse “dysmorphie Snapchat” évoquée par certains experts), les influenceurs devront indiquer toutes retouches ou filtres présents sur un contenu commercial.

👉Protection des mineurs : Le texte prévoit de s’attaquer à la protection des influenceurs de moins de 16 ans. Ils devront obtenir un agrément auprès des services de l’État et 90 % des sommes perçues de leurs activités devront être consignées jusqu’à leur majorité. Parallèlement, les jeunes seront sensibilisés aux “risques d’escroqueries sur les réseaux sociaux” à l’école primaire et au collège.




Partager l’article

Partager bien vivre le digital