Fakes, mensonges et vidéo

Quand la puissance de l’intelligence artificielle s’attaque au trucage, cela donne les deepfakes, de la manipulation de vidéo à la portée de tous. La blague inquiète : peut-on encore croire ce qu’on voit sur le web ?

Publié le : 04/11/2020

Fakes, mensonges et vidéo
plainpicture/Thordis Rüggeberg

Temps de lecture : 4 minutes

Nicolas Cage jouant tous les rôles du Seigneur des Anneaux, Jim Carrey remplaçant Jack Nicholson dans Shinning ou Donald Trump annonçant la fin du VIH dans un spot de Solidarité Sida. Vous avez sans doute vu ces vidéos incroyables, qui ont beaucoup tourné sur Internet. Elles se révèlent évidemment aussi fausses que techniquement bluffantes. Ce sont des deepfakes, des vidéos truquées grâce à des logiciels de manipulation d’images s’appuyant sur des algorithmes d’apprentissage profond (deep learning en anglais, à l’origine du mot valise deepfake) d’intelligence artificielle. En résumé, l’algorithme apprend tout seul à reconnaitre la partie de la vidéo à modifier et il génère le trucage (remplacer un visage, dessiner un bras) à partir d’images qu’on lui donne. Depuis 2017, plus besoin d’être un expert en effets spéciaux pour les produire, les logiciels (en anglais) sont librement disponibles pour se lancer et des sites permettent de réaliser cette manipulation sans aucune connaissance technique. Il suffit de payer quelques dollars, de téléverser les vidéos à travailler et d’attendre que l’IA échange les visages. Plus facile qu’effacer les yeux rouges d’une photo de famille !

Lazare numérique

Le deepfake ne se limite pas à un jeu pour quelques geeks, il connait déjà des applications commerciales assez étonnantes. Ainsi, en octobre 2020, Kanye West a offert pour les 40 ans de son épouse Kim Kardashian un « hologramme » de son père Robert Kardashian…décédé en 2003. Le visage du défunt qui souhaite un bon anniversaire à sa fille (et précise que Kanye est un mari formidable) a été reconstitué à partir des nombreuses vidéos de cet ancien avocat et numériquement adapté sur le corps d’un acteur. La possibilité de ressusciter digitalement des personnes disparues a déjà été utilisée (Tupac Shakur en 2012 à Coachella avait demandé 400 000$ et plusieurs mois de travail) mais la technologie des deepfakes la rend bien moins chère et plus rapide à réaliser… Une seule condition : posséder assez d’images et de films de la personne à modéliser.

Un danger pour la démocratie ?

Au-delà de la performance technique indéniable, les deepfakes inquiètent un nombre grandissant d’experts du net. Dans un monde où les intox concurrencent de plus en plus les informations vérifiées, l’arrivée inévitable d’un tsunami de vidéos truquées de plus en plus parfaites n’apparait pas comme une bonne nouvelle pour la sérénité du débat public. Que devient une preuve filmée si on peut lui opposer qu’elle est manipulée ? Et comment pourrait se défendre non pas une célébrité, mais un anonyme, victime de cyberharcèlement suite à un de ces trucages ? Des chercheurs ont déjà développé des algorithmes de détection de ces deepfakes… évidemment récupérés par les créateurs de logiciels de deepfakes pour améliorer le rendu de leur production ! Comme pour les fakenews, le meilleur rempart à la propagation de ces détournements reste le bon sens de chacun devant son écran. Si une vidéo semble incroyable, il y a de fortes chances qu’elle le soit. On prend donc soin de vérifier soigneusement la source du fichier avant de décider de la partager (ou pas) à ses contacts. Si ce fichier provient d’un obscure contact Facebook ou d’un message sur un forum, c’est très probablement une vidéo truquée. Et pour lever les derniers doutes, tapez dans Google la description de la vidéo pour voir ce que les sites sérieux en disent. Utilisons l’intelligence réelle pour contrer l’intelligence artificielle !

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