Quand des visages venus d’une autre époque se mettent à nous sourire et à cligner des yeux, il y a de quoi perdre la tête. En vogue sur les réseaux sociaux, les applications qui « ressuscitent » d’anciens portraits épatent autant qu’elles questionnent. Prouesse technologique ou pêche aux données personnelles ? Lumière sur ces clichés d’un nouveau genre.
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« Je vous présente mon arrière-arrière-grand-mère, Louisa Roakes (1871-1942), animée grâce à l’outil Deep Nostalgia », voici une rencontre du troisième type proposée par cette utilisatrice de Twitter qui n’en revient pas de voir son ascendance s’animer de la sorte. Noir et blanc et mise en plis du 19ème siècle, aurait-on trouvé la cure de jouvence ultime grâce au numérique ? C’est en tout cas la drôle d’impression que nous donnent des applications performantes à l’image de Deep Nostalgia, un outil créé par MyHeritage, plateforme dédiée à la généalogie.
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« Plus de 79 millions d’animations, et ce n’est pas fini », la plateforme peut se vanter de sa viralité. Un succès certainement dû à ce réalisme provoquant des réactions ambivalentes comme l’affirme en personne l’entreprise : « Certaines personnes considèrent la fonctionnalité comme magique, tandis que d’autres la trouvent effrayante et déplaisante ». Pour actionner cette drôle de mécanique, il vous suffit de vous inscrire gratuitement sur Deep Nostalgia et de fournir des photos sorties tout droit de votre grenier. Pour rattraper les effets du temps sur ces clichés, l’outil va alors « sublimer » ces derniers avant de les articuler : « La fonction Deep Nostalgia™ nécessite un visage haute résolution pour appliquer l’animation, mais les visages des photos historiques ont tendance à être petits et flous ». Alors, magie ou supercherie ?
Quand notre arbre généalogique rencontre le deepfake
Bien que souvent satisfaisant, le résultat d’un tel procédé est cependant à prendre avec des pincettes. En effet, les mouvements de ces visages venus d’une autre époque ne sont pas aléatoires, mais les fruits d’une « vidéo pilote » élaborée à l’avance : « Le résultat final n’est pas authentique, mais plutôt, une simulation technologique de la façon dont la personne dans votre photo aurait bougé et regardé si elle était capturée en vidéo. Selon la vidéo et l’angle, la technologie doit parfois simuler des pièces qui n’apparaissent pas dans la photo originale, comme les dents ou les oreilles, et la qualité du résultat final peut varier ». Rien ne vous garantit donc que votre arrière-arrière-grand-père avait ce même regard malicieux présenté dans cette vidéo factice.
Deep Nostalgia reprend donc ici un procédé faisant beaucoup parler de lui depuis quelques années : le deepfake. Exemples populaires, les vidéos du faux Tom Cruise ou encore les personnages politiques repris par l’imitateur Nicolas Canteloup sur TF1. Également connu sous les appellations de « videotox » ou « d’hypertrucage », ce procédé de collage découlant de l’intelligence artificielle efface au mieux la frontière entre réalité et fiction. En ce sens, il existe une grande variété de deepfakes : audios, vidéos, photos… Parmi les deepfakes les plus impressionnants : le trucage d’œuvres d’art. Quand la Joconde nous fait un clin d’œil, on se dit que la Nuit au Musée n’est pas qu’une fiction !
Désinformation, diffamation, manipulation : le deepfake est parfois considéré comme une véritable « arme d’illusion massive ». Connaissant l’ensemble des dérives qu’implique une telle technologie, pouvons-nous faire entièrement confiance à ces applications quand il s’agit de tronquer nos photos personnelles ?
Le vrai visage des applications de retouche photos
Elle faisait partie des applications les plus téléchargées en 2019, FaceApp fait désormais l’objet de nombreuses controverses. En effet, outil ludique apprécié des petites et grands qui permet de retoucher des photos grâce à l’IA, l’application est depuis passée sous le scanner de la CNIL. Constat, la Commission nationale de l’informatique et des libertés a mis en garde les fans de l’application face à des conditions d’utilisation trop laxistes. L’union fédérale des consommateurs dresse un bilan similaire en fournissant une liste (interminable) des libertés prises par la plateforme vis-à-vis de nos données personnelles : les photos sont transmises par l’application à de nombreuses entreprises non identifiées dont des régies publicitaires; FaceApp n’indique aucune durée de conservation des données et se permet même de collecter en parallèle des informations de géolocalisation et des données de connexion à vos réseaux sociaux (Facebook, Instagram, Twitter). De quoi tirer la grimace…
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Avec de telles prises de liberté sur vos photos et celles de vos proches, certaines applications comme Deep Nostalgia ont décidé de devenir les « bons élèves » du domaine en surfant à contre-courant et en proposant une version très modérée du deepfake. Exit donc les montages de voix comme peuvent le faire d’autres plateformes à l’image de Reface. L’entreprise rassure également ses utilisateurs avec une politique de confidentialité se voulant limpide : « MyHeritage n’est pas propriétaire de la vidéo résultante ; elle vous appartient. MyHeritage ne l’héberge que pour vous. Il en va de même pour les photos que vous importez sur MyHeritage : vous les possédez, et non MyHeritage ».
Prendre ses précautions
Après avoir pris connaissance des prouesses de ces applications, vous mourrez d’envie de donner vie à ces visages figés dans le temps. Alors pour éviter tout tracas, on vous recommande de suivre les précieux conseils fournis par la CNIL :
Passer par un site marchand officiel
La CNIL recommande avant toute chose de télécharger ces applications de modifications de visages sur des « magasins » officiels du type AppStore ou Google Play. Passer par des sites tiers peut en effet mettre en péril la protection de vos données personnelles comme l’a récemment prouvé le phénomène « ma famille Twitter ».
Vérifier la gestion de vos photos
Les applis qui proposent des outils de retouche doivent indiquer à leurs utilisateurs si les photos partagées sont conservées au sein de l’Union Européenne ou à l’extérieur. Dans cette optique, elles doivent également avertir d’une éventuelle communication de ces clichés à des tiers, et si ces derniers sont susceptibles d’être utilisés à d’autres fins (publicité, téléchargement d’images, etc.) et s’il existe ou non un moyen d’exercer des droits comme la suppression de ces contenus.
Y réfléchir à deux fois
Quand vous autorisez une application à accéder à l’appareil photo de votre smartphone, dans certaines configurations, cela signifie qu’elle peut jeter un coup d’œil à tous vos clichés, oui vraiment toute votre pellicule ! De plus, la CNIL tient à rappeler que vos photos partagées ont avec elles un bagage de données pouvant être détournées par des esprits mal intentionnés : géolocalisation, informations sur l’appareil… Alors avant de donner un coup de jeune à vos photos, un mot d’ordre : prudence !